Nemesis mécanique
J’ai trouvé, dans un endroit où, sacrilège, les livres sont vendus aux kilos, pratiquement tous les ouvrages d’Ivan Illich.
Au niveau du style, je dois bien avouer que ce n’est pas le fils spirituel de Proust, d’ailleurs il n’écrit pas en français, mais certain de ses propos, tenus il y a bientôt un demi-siècle, auraient probablement mérité meilleur sort que celui qui leur a été réservé par bien des personnes prétendument soucieuses de l’évolution de la planète.
Dans le livre d’entretiens dont je vous avais parlé il y a peu, sa toute dernière réplique m’avait particulièrement plu. Après avoir demandé au journaliste s’il avait d’autres questions, ce dernier lui répond que non mais demande à Illich s’il a d’autres réponses.
« J’espère que personne ne prendra ce que je vous ai dit pour des réponses ».
J’ai terminé hier « Energie et équité » dans lequel il mettait en garde, déjà, contre l’acharnement dans la recherche concernant les énergies renouvelables alors que tant de signaux mettent en évidence que le problème n’est pas uniquement dans la nature de cette énergie mais aussi dans la quantité toujours plus invraisemblable que nous en consommons.
Haile Gébresselassie a établi, mercredi, un étourdissant record de l’heure, à savoir 21, 285 kilomètres, sympathique clin d’œil à la réflexion d’Illich sur la nécessité de se rappeler l’importance de ses pieds et de ses mains.
Je ne me suis pas, comme certains journalistes depuis que Sarkozy a remis le running au centre des discussions, demandé si la course à pied est de droite ou de gauche, question qui mérite sans doute la palme de l’interrogation la plus débile de l’année, mais cela me renvoie à un autre impératif énoncé par Illich.
Il serait primordial de considérer qu’il y a un seuil de vitesse optimal, pour l’homme et les sociétés, et que cette limite est nettement inférieure à ce que l’on s’acharne (s’est acharné vu qu’elle est dépassée depuis bien longtemps…) à rendre possible par le biais de moteurs asservissants, cependant cela n’est absolument pas envisageable, politiquement parlant, quelle que soit l’endroit où l’on pose ses fesses de parlementaires.
Ou ses chaussures de joggers.
Illich a écrit cela il y a plus de trente ans alors que les entretiens datent, à part quelques retranscriptions antérieures, de 2002.
Je trouve remarquable qu’une personne qui pouvait constater chaque jour la pertinence de ses prédictions n’en garde pas moins cette volonté d’ouverture au dialogue.
« J’espère que personne ne prendra ce que je vous ai dit pour des réponses ».
Et pourtant.
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