katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

jeudi, janvier 31, 2008

Mort et Raison: mariage de déraison

« Au seuil de la pesanteur, le poète comme l’araignée construit sa route dans le ciel. En partie caché à lui-même, il apparaît aux autres, dans les rayons de sa ruse inouïe, mortellement visible. »

René Char, « Partage formel »

J’ai lu, hier, un livre dont la quatrième de couverture dit qu’il est « déjà considéré comme un classique de la littérature sur le deuil ». Il s’agit du récit de Joan Didon, « l’une des figures intellectuelles les plus respectées outre-Atlantique », sur les mois qui ont suivi la mort de son mari, écrivain également, John Gregory Dunne.

Je n’ai pas vraiment l’habitude de lire des témoignages, je trouve, pour ceux que j’ai lus (ce qui veut dire tout de même quelques uns puisque la deuxième femme de mon père en raffole) qu’il manque souvent le « petit truc » en plus qui permet à un écrivain de dépasser le simple exposé de la douleur pour en faire une expérience à même d’être véritablement partagée. Une plume qui confère à cette nécessité un élan qui évite au mal d’être enfermé sur lui-même. Voire même, pour les plus talentueux, de toucher « au plus juste » alors que tout sort de leur imagination.

Dans le cas présent, il y a une remarquable maîtrise d’écriture, dans l’agencement des faits, dans le rythme, dans la répétition savamment dosée de phrases « clés », mais ce qui m’a surtout frappé c’est l’exposé terrifiant du maladif besoin de comprendre qui a accompagné l’après. Une nécessité de cerner les raisons qui ont fait que, tout d’un coup, il y a eu perte de maîtrise. Avoir les bonnes coordonnées, disséquer les manuels de médecine n’a pas suffi, la vie, et donc la mort, échappe aux manuels. Ce qui est considéré comme injuste.

C’est également l’élément qui m’avait le plus troublé dans le « Philippe » de Camille Laurens, le fait de décortiquer rapports d’expertise et encyclopédies pour « comprendre ».

Ecrivant, Joan Didon interroge cette volonté de contrôle, démasquant en partie l’aspect fondamentalement tronqué de ce raisonnement. En partie, parce qu’elle ne réussit jamais à en sortir complètement.

Le contraste avec le livre terminé juste avant ma beaucoup interpellé. Il s'agissait de « Nahui » de Pino Cacucci. Une biographie romancée de Carmen Mondragon, alias Nahui Olin, artiste mexicaine née au début du vingtième siècle qui a participé, tant par ses excès que par ses revendications, à une des périodes les plus significatives de la culture contemporaine.

Je vous laisse sur un des passages qui clôt ces pages débordant de folie géniale :

« Tout a une fin mais nous autres Mexicains, nous en sommes davantage conscients, voilà pourquoi nous vivons avec davantage d’intensité tandis que les autres survivent dans la peur de mourir, nous savourons le cadeau d’une journée, d’un instant et demain n’existe pas, la vie c’est ici et maintenant, demain qui sait ? On dit que nous sommes épris de la mort, mais ce n’est pas vrai : nous la respectons, et le respect fait partie de l’amour … mais ne l’épuise pas. […]. Nous ne rions pas de la mort, nous rions avec elle. »

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mardi, janvier 29, 2008

Le bonheur laisse des traces dans ce monde

Parfois, lorsque je ne sais pas trop ce que j’ai envie de vous écrire, ou que ce que je souhaite vous dire me semble être trop long, menace d’être terriblement confus, je glisse ma main droite dans une des poches du gilet de ma vie. J’en extrais une des pierres ou une des touffes d’herbe ramassées depuis que j’ai appris à sentir le jour et la nuit, à sortir le jour bien plus que la nuit. Je dépose alors ma tête sur le petit espace palpitant encore dans ma paume. J’écoute ce qui parle aux heures écoulées.

« Les rayons qui tombent du soleil sont inexplicables. Les rayons du soleil sont beaucoup plus récents que notre propre corps. Leur violence est merveilleuse. Ils sont à nos propres yeux plus inexplicables que l’eau dont nous sortons. Ils sont toujours nouveaux. Nous ne les voyons jamais vraiment. Toujours nous sommes éblouis. Leur consistance, plus impalpable encore que celle de l’eau, est plus étrange qu’elle. »

Hier, je suis allé retrouver mon banc adoré, tenu éloigné de mes lectures depuis quelque temps à cause du froid. Après une heure de douceur, je suis rentré déposer le somptueux « Smilla et l’amour de la neige » de Peter Hoeg sur mon lit, j’ai revêtu mes habits pour aller courir et je suis parti respirer la Vallée du Gottéron.

Deux minutes jusqu’à ce que j’aperçoive la rivière, dix minutes pour que mes pieds s’échappent du dernier centimètre bétonné, vingt minutes de plus pour arriver à Ameismühe, extrémité de la boucle. Il faut alors deviner des escaliers que la forêt dissimule, je m’y aventure, ils mènent aux sentiers qu’il convient de suivre pour rejoindre Bourguillon, dernière étape avant le retour en ville.

« Jadis on disait :

- Quelle est ta boue ?

Cela voulait dire de façon brusque, ramassée, quel est ton pays ? Quels étaient les parents qui te firent ? Dans quelle province as-tu vu le jour ? »

Une fois terminée l’ascension des marches, mes foulées s’allongeaient, mes sensations étaient bonnes. C’est alors que, comme il arrive parfois, j’ai ouvert mes yeux qui l’étaient pourtant déjà.

Je me suis arrêté, impossible de faire autrement.

J’étais au milieu de champs vierges, des barrières d’arbres me saluaient au loin, deux fermes se reposaient et quelques vaches s’improvisaient choristes de ce moment de grâce.

Je me suis allongé pour sourire au bleu.

« Je reprends les thèses de Plutarque. Le fait de laisser mourir de faim un chien paraît aux hommes plus graves que d’étrangler une oie.

Sur le territoire de la France actuelle l’huissier ne peut saisir un chat et un chien et le vendre aux enchères. Les chevaux ou les boas peuvent être saisis et vendus. La frontière qui sépare les choses et les personnes continue à être indécise longtemps après l’état de nourrisson et d’enfance.

L’espèce humaine n’est jamais tout à fait éveillée. »

Les « Sordidissimes » de Pascal Quignard ont rythmé ce texte.

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vendredi, janvier 25, 2008

Il y a des bonnes blagues dont on ne se lasse jamais

«Oui, l'homosexualité est une déviance, mais nous sommes tous, à notre manière, des déviants. La Bible exige de nous une attitude de repentance, elle nous demande d'admettre nos péchés. Pour l'Eglise, ne pas dire oui à l'homosexualité est une chance: elle permet aux pécheurs d'implorer la grâce de Dieu. Si on ne peut pas dire ce qui est mal, on ne peut plus appeler au Bien.»

Voici une bonne manière de résumer ce que j’aime chez certaines personnes se réclamant de la religion, ces petits bonheurs de rectitude, de justesse, qui font dire à Brel, dans « Les bigotes » : « Si j’étais Dieu en les voyant prier je crois que je perdrais la foi ». Je dois avouer que j’ai aussi ce petit air de Gary qui remonte à la surface : « […] la certitude est bien une des façons les plus communes de se tromper. »

«J'aimerais bien savoir quel est le zigoto qui a eu l'idée de soulever cette question de l'homosexualité au sein de l'Eglise. Est-ce le lobby homosexuel? D'autres débats me paraissent bien plus essentiels, comme la justice sociale ou l'écologie.»

Peut-être qu’il faudrait obliger les pédés à être au moins verts ou socialistes, histoire de régler une moitié du problème.

Mais ne nous alarmons pas, entre quelques nouvelles macabres (je vous épargne la liste), le rapport qu’une bernoise a remis au Conseil de l’Europe pour faire part de ses recherches sur les disparitions de nouveau-nés à des fins d'adoption illégale dans certains pays de l'Est (vous pouvez respirer), la proportion hallucinante que prend la pédocriminalité par l’entremise d’internet (c’est aussi ça, la démocratie, permettre à tout le monde de recevoir chez soi, grâce à son ordinateur, ce qu’il désire le plus) et un enchaînement de suicides préoccupants dans une petite communauté du Pays de Galles (mais le problème va bientôt être résolu, parce que la députée en charge de la région a constaté que la cause était à chercher sur « certains réseaux sociaux en ligne qui présentent le suicide sous une apparence romantiques ». Cette dame a beaucoup bu ou pas beaucoup lu, mais je suis en tout cas certain qu’elle ne sait pas de quel côté se trouve le manche d’une pioche.), il y a des petites pépites comme je vous en ai déjà servies quelques unes ces derniers temps. Il faut continuer de les chercher du côté de cette nouvelle religion universaliste, la Science, ce puit sans fond dans lequel il n’y a plus d’eau (pas grave, on pourra bientôt aller en chercher sur Mars ou sur la lune) depuis longtemps mais où on s'évertue à lancer un seau virtuel, avec allégresse :

« C'est un rêve de scientifiques qui devient de plus en plus réalité: recréer la vie, pièce par pièce, de novo! Des chercheurs du Craig Venter Institute, à Rockville (Etats-Unis), sont parvenus à fabriquer pour la première fois un génome de manière totalement synthétique. Autrement dit, comme en jouant aux Lego, ils ont réussi à reconstruire brique par brique l'ensemble du matériel génétique d'un organisme, en l'occurrence celui d'une bactérie. Leurs résultats, qualifiés de cruciaux dans le milieu, avaient été évoqués à demi-mot en octobre dernier lors d'une fuite dans la presse britannique. Ils sont publiés aujourd'hui dans la revue Science. Et ouvrent la voie à des applications potentielles phénoménales. »

Et voilà, comme Sarkozy nous a appris que toutes les déviances, ainsi que les envies suicidaires, sont génétiques, on aura bientôt plus de problème. Un beau sourire, une belle montre, une belle femme, une belle bague, et on pourra tous jouer à Oui-Oui dans l’immense Blague mondiale.

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La sorte d'ombre

"Une vague soulevée
semble penser qu'elle brille

Un oiseau posé dessus
qu'il est tel qu'il doit paraître

Au-dessus de l'horizon
les nuages se déchirent

Les branches sont balancées
les cigales se sont tues

Il n'y a qu'un seul esprit
et il attend les éclairs"



"Je regarde le jour
et je sais qu'il fait froid
à la couleur des ombres

Je laisse tomber
le rideau sur la mer
et sur les pins penchés

Je reste comme ça
puis je repense à tout
Le jour est si petit"


Jean-Pierre Colombi

lundi, janvier 21, 2008

« Dors, ou fais semblant de dormir, mais tais-toi, sinon tu serais capable de lui demander ce qu’il fuit et il faudrait alors expliquer des choses que tu n’as pas encore la force de comprendre. Car, vois-tu, on fuit toujours les mêmes choses : les espoirs non réalisés, la banqueroute d’un amour malheureux que plus rien ne nourrit, le quotidien que tu as mis toi-même en place en attendant de construire une prison confortable avec vue sur le mur du voisin, et tout cela payé au prix fort, en temps de vie. On fuit – et c’est ce qu’il y a de plus difficile à expliquer alors que tu viens à peine de finir tes études et que le monde entier t’appartient – on fuit le talent dilapidé. »

Voilà un livre qui fait partie de ces petites accolades du destin dont il semble impossible de se lasser.

Lorsque je suis sorti du cinéma après « Into the wild », à deux doigts, ou plutôt à deux bras, de me lancer dans la traversée du lac avec mon sac sur le dos, je me demandais quel livre allait bien pouvoir me remplir autant que ces minutes de vitalité totale que je venais de recevoir en plein cœur.

Puis, le lendemain, traînant sous une pile d’arrivages, je devine un ouvrage de chez Verdier, maison d’édition que j’aime beaucoup, ne serait-ce que pour nous avoir offert quelques livres de Michèle Desbordes, notamment « L’emprise », dont le point final a été mis quelques minutes avant de se donner la mort. Un élément primordial, qui confère une dimension encore plus éblouissante à ces pages. Je l’ai appris en lisant « Sa dernière journée », de Jacques Lederer.

Mais reprenons.

Un livre chuchotait, je m’approche.

« Eloge des voyages insensés » de Vassili Golovanov.

« J’aurais dit : Mais pourquoi diable aller vite ? A quoi nous sert de gagner vingt-quatre heures si nous transformons trois jours de fête en deux jours de torture ?

Vers où et pourquoi nous hâtons-nous, capitaine ? Pourquoi, sur nos bateaux, la cloche ne sonne-t-elle plus l’heure, capitaine ?

Et pourquoi les théoriciens du progrès ne s’intéressent-ils qu’à la vitesse et non au merveilleux clapotis de l’eau sous les pales des lourdes roues accompagnant le mouvement du bateau à aubes ? C’est cela qu’on nous enlève, capitaine ! Comme on nous enlève la possibilité d’aspirer le vent frais sur le pont, d’enlacer la taille chaude d’une jeune passagère et la chance, le soir tombé, de faire, le soir venu, un tour de valse inattendu…

Cela ne revient-il pas à dire, capitaine, que le progrès nous a purement et simplement dépouillé ?

Notre dialogue imaginaire se prolonge depuis quelques années déjà. Dialogue précieux, essentiel. A mesure que les questions surgissent, je vous les pose, et quand il n’y a pas de réponse, je lis tout simplement à voix haute les pages préférées des livres qui toujours m’accompagnent. »

Depuis que je me suis glissé sous cette couverture orange, m’allongeant dans ce lit de prose, rêvant avec le narrateur de L’Île dont il est imprégné, je n’ai pas envie d’arriver à la dernière page. Alors j’avance peu, je garde sous l’oreiller les quelques chapitres qui me restent. Je relis les paragraphes annotés.

Je ne suis pas subjugué, même si j’ai un peu l’impression de lire « Le mont analogue » de Daumal récrit par Pessoa, ce livre n’a rien d’exceptionnel, à proprement parler, mais, bercé par ces notes qui sentent le galetas de mon enfance, je me sens bien, incroyablement bien. Avec la sensation que ces lignes étaient déjà inscrites en moi.

« Qu’est-ce que je pensais donc trouver ici ?

Le mot : voilà la clef de toute cette histoire. Soit. Je trouverai donc le mot. Pour moi, le mot naît de la matérialité du monde, il me faut juste regarder et écouter, rien de plus. C’est pour cela que je viens me perdre ici, pour ressentir, sur ma peau, ce qui plus tard deviendra verbe. […]. Le don d’exprimer en silence l’émerveillement devant l’énigme du monde, ce don qui m’avait accompagné jusqu’au moment où je me suis posé les questions auxquelles je voulais des réponses précises, bien formulées. Ne les ayant pas obtenues, je me suis mis en quête, seul, ramassant les mots avec minutie, allant les débusquer avec un soin maniaque, mais sans jamais ou presque, trouver celui qui aurait l’absolue beauté d’une couleur, l’absolue justesse d’une ligne, l’absolue plénitude d’un dessin. Le verbe … comment dire … est mouvant. C’est ainsi. Comment être sûr que cette recherche vaille tous ces efforts ? Et pourtant il est impossible de ne pas chercher… »

Hier, en rentrant de St-Moritz avec Béatrice, endroit extraordinaire où se côtoient les splendeurs de ce monde et les flambeurs de l’autre monde (On a pas vu Poutine, Berlusconi ou super Sarko, mais leurs bâtards avatars. Et une des discothèques de la place s’appelle l’empereur. Véridique.), nous avons vécu un moment qui dépassait ce que le papier et la parole peuvent tenter de transmettre.

Nous avons traversé le col du Julier en début d’après-midi, le soleil sculptait des ombres de neige, faisait sourire le blanc et miroiter le bleu qui ne voulait rater cette fête pour rien au monde.

Les violons de Damien Rice (il vous suffit de cliquer quelque part à gauche de l’écran…) complétaient l’impression de déborder de vie et de bien-être.

Les mots d’Annie Leclerc me revenaient en mémoire : la perception est jouissance.

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mardi, janvier 15, 2008

OGM : Ode aux Génies du Marché

« C’est une décision politique et pas scientifique », voilà l’avis du biologiste consulté par « Le Temps » suite à la décision du gouvernement français de suspendre le MON810, un maïs transgénique mis au point et commercialisé par le groupe américain Monsanto. Les experts mandatés ont fait un travail « bâclé » proprement « scandaleux » pour une décision de cette importance. Attention, vous êtes prêts, voilà la magnifique conclusion de l’entretien que ce grand monsieur a accordé au quotidien :

« Le risque zéro n'existe pas. Utiliser un téléphone portable comporte probablement plus de risques que manger des OGM. Un fait est que l'utilité des portables est beaucoup plus facile à percevoir pour tout un chacun. Il faut ainsi débattre publiquement des inconvénients et avantages liés à cette technologie. »

Je pourrais me laisser emporter, dire qu’il y a peut-être également une nuance à faire entre utilité et indispensabilité, voire entre perception et imposition, je pourrais devenir carrément suspecté d’être un communiste notoire et dire qu’il serait peut-être temps que le scientifique soit soumis au politique et que le politique soit soumis, attention les yeux et les oreilles, à l’éthique, il serait aussi possible de s’indigner du fait que si le « bilan utilitaire » est positif les risques deviennent négligeables, l’homme a besoin de ceci, alors à nos éprouvettes !

Je pourrais reproduire cet extrait de l'entretien que Pavel Lounguine a accordé à "Transfuge":

"On essaie de faire de nous des consommateurs. Pour moi, c'est la plus grande des arnaques, beaucoup plus grande encore que celle du communisme. Le communisme était un rêve mal réalisé. Cette arnaque là est totale."

Je pourrais aussi copier une phrase de Gary qui apparaît dans « Europa », un roman dont on n’a encore pas fini de relever tous les enjeux :

« Le seul mot que Danthès ne prononçait jamais était « décadence », et il avait raison. Il ne pouvait plus être question de décadence : c’était fini, tout simplement. Ceux qui parlaient de faire naître un monde nouveau se berçaient d’illusions : le monde nouveau était déjà né. La seule question qui se posait était celle de savoir ce qu’il fallait faire des ruines… »

Je pourrais aussi signaler les résultats d’une enquête qui a évalué les coûts (forcément, c’est ce qui nous intéresse, même si, dans ce domaine, on ferait mieux de s’inquiéter des coups) liés aux maladies du cerveau en Suisse : 15 milliards de francs, et dire que le spécialiste consulté à l’outrecuidance (ah tiens, il existe encore ce mot ?!?) de dire que l’augmentation des cas de dépression en vigueur depuis quelques années n’est pas provoquée par la société, mais est due à une meilleure reconnaissance de cette problématique, sur quoi il ajoute que la dernière révision de l’AI était indispensable, parce que les abus, quand même.

Bref, je pourrais m’indigner, une fois de plus, et prendre le risque de passer encore pour un type qui a de la peine à vivre en phase avec son époque, mais je ne ferai rien de tout cela, je préfère mentionner le VRAI problème qui secoue la Suisse, la question qui remet véritablement en cause le ciment populaire, symbole « qui illustre le goût des Helvètes pour les plaisirs simples, comme les grillades en plein air » (je vous jure que je n’ai pas inventé cette phrase, elle est certifiée reproduite du journal) : le cervelas est menacé !

Bientôt plus de boyaux de zébus brésiliens ! Où va-t-on ?

« Depuis 2006, l'importation d'intestins bovins en provenance de ce pays d'Amérique du Sud est gelée en raison du risque lié à l'encéphalite spongiforme (ESB). Or, ce sont eux qui, matière de la gaine du cervelas, en assureraient l'esthétique et une partie de la saveur. »

Alors moi je propose quelque chose, que tous les chercheurs suisses profitent de cet élan de solidarité nationale pour travailler main dans la main à la réalisation de zébus génétiquement modifiés, auxquels on enlèverait la possibilité d’attraper (j’sais pas si ça s’attrape c’t’histoire…) l’ESB, on est pas obligé de leur mettre un coeur et un cerveau non plus, parce qu'on en est quand même plus à ça près, au niveau du déni de la nature, ensuite il n’y aurait plus qu’à aller déguster, le dimanche, des cervelas grillés dans la clinique psychiatrique la plus proche, comme ça tout le monde oubliera que, le reste de la semaine, il faut faire « pseudo pseudo » huit heures par jour, en fermant sa gueule s’il vous plaît.

Bonne journée !

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jeudi, janvier 10, 2008

Le singe, un être humain comme les autres

Le texte à venir s’est présenté à moi lorsque Raphaël a fermé la porte, mercredi. Juste avant, en cinq minutes, il avait été question d’un article, paru mardi dans « La Liberté », qui traitait de l’exploitation/exportation massive de singes mauriciens. On pouvait y lire, entre autres merveilles, ceci :

« Relativement propre, le singe mauricien serait un animal de premier choix, très recherché par les laboratoires étrangers. »

On y apprend que des militants "écolos" sont également contents de voir le nombre de ces animaux diminués puisqu’ils sont « écoeurés » de voir leurs investissements financiers (pour réintroduire certains oiseaux indigènes) réduits à néant par ces prédateurs. Là encore, je cite texto, il s’agit donc, au risque de me répéter, d’une personne s’engageant dans des organisations écologiques :

« Le singe est certainement une nuisance pour la conservation. »

On peut ajouter que le chef de département Recherche et développement chez Noveprim a qualifié d’ « utopique » de croire qu’on peut mener des recherches médicales sans ces animaux.

Ce qui me dérange fortement, entre autre, dans cette formulation, ce qui a fait dire à ce brave Raphu que je ferais mieux d’aller habiter dans une grotte, proposition à laquelle j’ai repensé intensément devant « Into the wild » le soir-même, un film dont dire qu’il m’a touché serait un euphémisme, tant cette flamme nichée au cœur du bonhomme est puissante, tant exister vraiment, devenir acteur de ses rêves, pendant deux ans, plutôt que de subir jusqu’à l’âge le plus avancé possible, me fait penser à cette phrase de Brel qui m’accompagne depuis un moment : « Ce n’est pas la durée d’une vie qui compte, c’est l’intensité d’une vie » ; ce qui me dérange fortement, puisqu’il s’agit de ne pas perdre le fil trop longtemps, c’est cette manière de poser la nécessité de faire encore des recherches médicales non seulement comme une évidence, mais comme quelque chose qui ne doit même pas être discuté, parce que c’est comme ça, parce que tant que nous ne maîtriserons pas complètement la mécanique humaine, ce qui permettrait, précisément, de n’être plus qu’une mécanique, tant que nous ne pourrons pas avoir tous le même corps, parfait, il nous faudra continuer à faire de la Science ce Dieu sans conscience, toujours, toujours plus.

Ce qui amène un membre de la commission d’éthique nationale à dire qu’il ne voit pas au nom de quoi on pourrait refuser aux parents d’exiger un fœtus parfait, peu importe les manipulations nécessaires, il s’agit d’entrer dans le monde avec toutes les chances de son côté, et cela se joue, bien entendu, au niveau du physique. Pas du spirituel.

Spirituel, c’est le terme qu’a utilisé Raphu quand il m’a parlé de la grotte, il m’a dit c’est bien, c’est bien pour l’épanouissement spirituel, l’air de dire, ben on va aller loin avec ça. C’est marrant parce que personnellement, le terme d’épanouissement, je ne vois même pas avec quoi je pourrais l’utiliser d’autres qu’avec cette notion de spiritualité, idée où se mélange la capacité à s’apprécier dans la solitude et à ne pas se sentir trop noyé dans la multitude. La possibilité d’estimer que le terme de responsabilité s’attache à sa propre personne plutôt qu’à un cahier des charges, la faculté de penser que tout apprentissage découle de la vie et pas du catalogue de marches à suivre qui sont en vogue depuis que l’on a réussit à convaincre l’animal social qu’il y a, pour tout, une "bonne" manière de faire et que c’est des gens dans des bureaux qui sont compétents pour la déterminer.

« Or les hommes n’ont pas besoin de davantage d’enseignement. Ils ont besoin d’apprendre certaines choses. Il leur faut apprendre à renoncer, ce qui ne s’apprend pas à l’école, apprendre à vivre à l’intérieur de certaines limites, comme l’exige par exemple la nécessité de répondre à la question de la natalité. La survie humaine dépend de la capacité des intéressés d’apprendre vite par eux-mêmes ce qu’ils ne peuvent pas faire. Les hommes doivent apprendre à contrôler leur reproduction, leur consommation et leur usage des choses. Il est impossible d’éduquer les gens à la pauvreté volontaire, de même que la maîtrise de soi ne peut être le résultat d’une manipulation. Il est impossible d’enseigner la renonciation joyeuse et équilibrée dans un monde totalement structuré en vue de produire toujours plus et de créer l’illusion que cela coûte toujours moins cher. »

Ivan Illich a écrit ceci il y a bientôt quarante ans.

« Substituer le réveil de l’éducation à l’éveil du savoir, c’est étouffer dans l’homme le poète, geler son pouvoir de donner sens au monde. Pour peu qu’on le coupe de la nature, qu’on le prive de travail créatif, qu’on mutile sa curiosité, l’homme est déraciné, ligoté, il se fane. Surdéterminer l’environnement physique, c’est le rendre physiologiquement hostile. Noyer l’homme dans le bien-être, c’est l’enchaîner au monopole radical. Pourrir l’équilibre du savoir, c’est faire de l’homme la marionnette de ses outils. Englué dans son bonheur climatisé, l’homme est châtré : ne lui reste que la rage qui lui fait tuer ou se tuer. »

Ceci aussi, mais je pourrais copier l’ouvrage (« La convivialité ») qui est une des bases des mouvements de « simplicité volontaire » et de « décroissance soutenable » qui tentent de faire entendre leur voix au milieu du carnaval altermondialiste, avec djembè et autres feux de joie.

Je pourrais continuer encore longtemps, parce qu’il y a encore beaucoup de choses qui se bousculent pour venir s’ajouter, mais je pense que peu de monde m’a suivi jusque là, alors je vais m’arrêter ici, en terminant sur ceci, puisque, de l’aveu de Raphaël, une fois de plus, souvent il lit les premières lignes de mon blog, puis saute au dernier paragraphe et aux commentaires, s’il y en a.

« La poursuite permanente du mieux-être est l’obstacle principal du bien-être. »

Je pense que vous avez deviné qui a écrit cela.

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mardi, janvier 08, 2008

Chasse à l'âme

Le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne suis pas un spécialiste en aménagement du territoire (d’aucun diront sans doute qu’il suffit d’avoir vécu avec moi pour s’en rendre compte…), cela ne m’a pas empêché, dimanche, de vivre un moment très particulier quand Samia m’a amené dans une zone (quatre lettres - pas mieux – encore que – nase ? – fait l’affaire également) que je ne connaissais pas.

Le nouveau « Paris Rive Gauche » qui s’est construit autour de la Bibliothèque François Mitterrand (ce qui est certain, c’est que n’ayant jamais pleinement compris l’appellation « socialisme à visage humain », je sais un peu mieux ce que ce n’est pas. Vive les définitions négatives.).

J’ai failli écrire « qui a poussé » au lieu de « qui s’est construit », mais je me suis vite ravisé, parce que s’il y a bien un endroit où il faut insister sur l’absence de processus naturel (Comment ! Mais est-ce que tu n’as pas fait attention à ces arbres magnifiques ! Si si, impossible de les louper, c’était la première fois que je voyais un aussi efficace camp de concentration pour végétation. Depuis le temps que l’on sait qu’il faut arrêter de se laisser bouffer par ces buissons, on se donne enfin les moyens d’y parvenir sur le très long terme. On réussit même à se convaincre d’un possible absence de terme. ) c’est ici.

Au milieu de ces rues policées (que des génies ès Connerie ont tout de même réussi à appeler, entre autres : Marguerite Duras, Primo Levi, Thomas Mann,… Véridique.), se dresse une ancienne gare frigorifique (http://www.les-frigos.com/) devenue le repère d’artistes qui se sont mobilisés pour que le lieu ne soit pas détruit.

C’est fou, ce bâtiment qui ne devait à l’époque pas inspiré grand chose de « positif » est devenu la dernière possibilité d’une âme dans cet îlot futuriste.

Ou quand, aux balbutiements de l’industrie, l’impossibilité de l’Homme n’était pas encore pleinement effective.

Quand l’existence de cycles, avec vieillissement (beurkh) et tout et tout, n’était pas considérée comme un défi à la science.

Quand la mort habitait la vie sans que l’on veuille déménager.

Entendons-nous bien, je n’ai pas envie de tomber dans un « c’était mieux avant », parce que ce n’était pas mieux, c’était même souvent bien pire, mais, ce qui ne cessera jamais de m’interpeller, c’était envisageable.

Je mets en gras, oui, et j’insiste encore sur le terme de visage, en écho au corps qu’il suppose. Pas une enveloppe virtuelle, un corps avec rides, poils, ces trucs dégueulasses qu’un commerce vous propose de faire disparaître tous les dix mètres.

C’était envisageable.

C’est triste à dire, c’est même sans doute affreux d’indécence vu où je suis, mais, quand j’entends l’horreur en Côte d’Ivoire, au Pakistan, en Colombie, et j’en passe, je vois la volonté de puissance de l’humain dans toute son inhumanité, je vois Dieu et le Diable qui dansent leur détestable valse.

Mais je vois surtout des visages, des visages qui hurlent, pleurent, se déchirent, des visages qui vivent et qui meurent. Des visages qui existent.

Par ici, souvent, je ne vois même plus de masques.

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dimanche, janvier 06, 2008

Quand, à peine sorti du somme, l'image assomme

Déposé par le matin dans un indistinct café parisien, je puise, au cœur de pages picorées hier par la grâce de rencontres enchanteresses, l’ivresse des mots qui soufflent, le refus de la morosité, la réhabilitation d’une certaine austérité.

N’observer rien de précis pour absorber l’imprécision.

S’imprégner du flou du dehors pour imprimer des nuances au dedans.

Soif de dénuement se heurtant à l’arrogance d’un nouveau seigneur saignant des murs, ceignant les murmures, enseignant l’armure.

Ecrans plats qui, envahissant l’oreille, avachissent l’écoute.

Remplissant l’œil, vident le regard.

Dessiner son sentier contre la maturation de la dénaturation, étendre son sourire à l’immatérialité de l’altérité.

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mardi, janvier 01, 2008

Et si, du Nouvel An, nous ne gardions que l'élan

C’est en partie mû par cette parcelle intérieure qui fait de moi un entêté de solitude que j’ai décidé hier, peu avant midi, de me dérober aux différentes invitations en suspens pour leur préférer une escapade à Lugano. Un hôtel surplombant le lac sacrifiait ses prix habituels pour compléter ses chambrées, se présentant ainsi comme une belle occasion de traverser dans un cadre somptueux, débarrassé d’un vacarme irraisonné, cette nuit que nos calendriers recouvrent d’une aura particulière.

La brève escale que j’effectuais à Zürich, les quelques pas que je risquais dans et hors de la gare confirmaient mon envie de réfléchir loin du brouhaha, loin de ce mouvement perpétuel qui semble avoir investi l’enclos urbain.

J’arrivais en début de soirée, inscrivais « lecteur » sous profession, parce qu’ainsi je (me) v(o)is.

L’heure était trop avancée pour que je profite de la vue, je me contentais de la nuée de lucioles électriques qui remplissaient la vallée, ne pouvant m’empêcher de pester intérieurement contre cet état de fait, contre ces tas d’effets déversés par la chose industrielle.

Différents souvenirs liés au Tessin s’amusaient derrière mon sourire contrarié : tentative de nuitée sous un toboggan avec un ami footballeur qui « pèse » aujourd’hui plusieurs millions d’Euros, ascension improvisée d’un sentier inexistant avec sieur Gandus, progression pierre par pierre dans la Maggia, sous un soleil de plomb, avec Raoul et Sergio,…

Alors que j’étais assis dans la salle à manger, mon regard, absorbé par la cheminée, quittait brièvement les flammes des yeux pour enjoindre l’enfant situé à la table à côté de lancer son assiette sur les pantalons du serveur qui s’adressait à lui comme à un demeuré ; mais je devais me résoudre à constater l’absence de persuasion de mes haussements de sourcils et des hochements de cet élément en constante mutation que plusieurs de mes proches, au vu de ma grande distraction, sont certains de me voir oublier un jour.

Cependant pour l’heure, stimulée par mes lectures déstabilisantes de l’après-midi, « La convivialité » d’Ivan Illich, « L’ami lointain » de Cioran et quelques poèmes, cette dernière semblait bien attachée à mes épaules.

Malgré cette agitation intérieure, je m’endormais et me levais tôt, me réjouissant d’assister à la montée en douceur du jour depuis cet endroit privilégié.

Mon enthousiasme n’était pas déçu, même si la lumière venait confirmer mon impression de la veille, la machine, comme souvent, a consciencieusement miné le vert partout où cela s’est avéré possible.

Après un copieux petit déjeuner, je m’immisçais dans la forêt avoisinante pour m’acoquiner avec les arbres et confirmer l’appellation d’origine incontrôlable : « homme des bois », que m’accole la personne avec l’accent vaudois le plus puissant que je connaisse.

Ma ballade matinale, une fois mon sac récupéré, se prolongeait dans le charmant village de Cademario qui, en attendant le bus, offrait une place de jeu à mes pieds de « gamin de talus ».

J’écris ces lignes dans le train qui me ramène à Fribourg, « Eloge de la transmission » (Goerge Steiner et Cécile Ladjali) et « Air de la solitude » (Gustave Roud) sont venus s’ajouter aux chars qui cortègent dans mes festivités cérébrales.

Plusieurs images de ma journée vont miroiter durablement sur les vitres de l’allée qui accompagne les confettis:

Le surgissement d’un chat borgne à l’extrémité d’une ruelle sans issue.

La fulgurance du bleu à travers une toiture de branches.

Mon sursaut consécutif aux chants d’un cerf Noël en peluche.

My nostrils prickle with nostalgia / Les narines me picotent de nostalgie. (Sylvia Plath)

Une en particulier, s’étant présentée comme un double égaré, va être l’écho de mes lourds sommeils à venir :

Un ballon de baudruche orange, à moitié dégonflé, qui, s’entretenant avec un tas de feuilles mortes, s’étonnait de la violence de leurs réponses.

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