katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

jeudi, avril 30, 2009

ça cause par soi-même




"Les mots sont à surveiller de près. Les mots, ça cause par soi-même comme dit Wittgenstein, autrement. Ils vivent leur vie. Ce n'est pas aussi pute qu'on pense. Ça ne raconte pas pour l'éternité ce que le Maître est parvenu à le faire cracher sous la torture. C'est branché plus loin, vieux bateaux qui à force de naviguer se couvrent de coquillages et toutes sortes de concrétions des profondeurs. A plus ou moins long terme ils refont surface, et nous éclatent dans la figure.


A propos, "civilisation", comment va-t-il?

Pas brillant. Il ne se montre plus que dans les déclarations de guerre."

Christiane Rochefort, Le monde est comme deux chevaux

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mercredi, avril 29, 2009

Lire lentement

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mardi, avril 28, 2009

Insupportable centre fuyant








« Tu ne trouves pas que c’est un peu élitiste ? »


Nous rentrions d’un bref passage dans les nouveaux locaux de ler devagar, lire lentement ; manifestement d’anciennes presses réhabilitées. Nous avions été accueillis par deux étages de livres. Nous avions flâné pendant le sound-check qui se déroulait tranquillement, en vue du concert à venir pour fêter le deuxième jour d’ouverture.


« Tu ne trouves pas que c’est un peu élitiste ? »


Emportés par l’élan de nos pas, marche bienvenue qui nous menait d’Alcantara à Santos, je m’étais lancé dans une de mes diatribes contre le son creux de certains quotidiens « éthiquement paresseux ».


« Tu ne trouves pas que c’est un peu élitiste ? »


Je repensais à cela lorsque j’ai dit à ma colocataire que regarder MTV était dangereux pour sa tête.


Cela m’a à nouveau traversé l’esprit quand nous parlions d’une sorte de désintérêt ambiant pour les « aînés », quand nous exprimions nos hérissements face au terme de « client » dont on badigeonne des personnes ayant besoin de soins ou de soutiens.


Est-ce que s’interroger sur la manière dont on évacue les questionnements sur la mort, est-ce que refuser de s’en tenir aux (non-)lieux communs est élitiste aussi ?


Ceci me déchirait le crâne pendant que je me replongeais dans les propos de Tabucchi, quand je me passionnais pour ses digressions autour de ce que Bergson, répondant à Einstein, appelait « le temps de la conscience ».


Cette phrase me harcelait aussi quand j’avais envie de distribuer de puissants coups de boule aux types qui, dans la zone commerciale, me demandaient si je voulais de la dope tous les dix mètres.


« Coke, Hasch ? » « Non, mais je pourrais peut-être faire de tes dents de la goulasch ? »


Ces mots pointaient dans mes regards quand je prenais des skateurs en photos.


Ils étaient toujours là quand je demandais, à la Casa do Alentejo, s’ils avaient des adresses d’exploitations agricoles ou viticoles à me communiquer ?


Même refrain quand je serrais la main du Cap-verdien qui, devant chez moi, se fait quelques maigres euros en « surveillant » les voitures.


Toujours cette étincelle quand je lisais la superbe carte (« Il est tant de façons d’aimer » inscrit dessus) de ma grande soeurette, animée des réflexions et de la sensibilité qui, après les années d’initiales chamailleries, nous ont rapprochés.


Puis à nouveau il y a quelques minutes lorsque j’écrivais à mes amis garyens.


« Tu ne trouves pas que c’est un peu élitiste ? »


Sans ralentir, mais en regardant mes pieds, j’avais répondu oui.


Oui, c’est vrai, sans doute.


C’est quoi ce monde où on quitte l’Université par refus de fricoter avec l’élite autant que par la détestation des « Comment, vous ne connaissez pas cela ? » et où on se retrouve, par le simple fait de se poser des questions sur soi, sur soi au milieu du monde, comme un élitiste, malgré soi ? Contre soi?


C’est quoi ce monde où être curieux, où refuser la danse des chiens paparazzis qui vous font pi-people dessus en permanence, vous sanctionne en vous mettant à l’écart ?


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lundi, avril 27, 2009

faim de ce lieu








"J'ai toujours faim de ce lieu


Qui nous était un miroir,


Des fruits voûtés dans son eau,


De sa lumière qui sauve,





Et je graverai dans la pierre


En souvenir qu'il brilla


Un cercle, ce feu désert.


Au-dessus le ciel est rapide





Comme au vœu la pierre est fermée.


Que cherchions-nous? Rien peut-être,


Une passion n'est qu'un rêve,


Ses mains ne demandent pas.




Et de qui aima une image,

Le regard a beau désirer,


La voix demeure brisée,


La parole est pleine de cendres."




Yves Bonnefoy, Une pierre

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dimanche, avril 26, 2009

barde un peu barge



Accrochée à sa fenêtre, elle regarde défiler la vie des autres, se disant que la sienne a déjà filé, se demandant sans doute comment elle va réussir, aujourd’hui encore, à passer entre les mailles du filet.


Je l’observe, fixée dans ce cadre immuable, je me dis qu’à ce stade-ci, ce n’est plus d’un âge qu’il s’agit, elle appartient à un autre rivage, elle a nagé au milieu des ravages salazariste, puis, ayant accosté en des eaux plus sages, elle s’est contentée de constater, après l’orage, les nombreux ratages que ce pays a connu au démarrage, au re-démarrage.


Encore amarré pour partie à d’anciens adages, le Portugal se cherche dans des modèles qui pourtant, aujourd’hui, sont en train de faire naufrage.


Qui se sont bâfrés et se retrouvent balafrés.


D’où, légitime, la montée d’une certaine rage chez ceux qui sont laissés en marge.


Barde un peu barge, j’ai embarqué pour observer ce sillon incertain, remarquant affligé l’ambivalence envers l’ancien monarque adepte de la matraque.


Je sifflote du bout des lèvres, un stylo en guise de harpe, les larmes troublant regards et tentatives de réflexion quand je repense à un ami de mon père, espagnol de Gigon, regrettant Franco, me disant qu’il n’y avait alors pas toute cette délinquance, qu’on pouvait aller travailler au milieu de la nuit, sans craintes.


Je pense, orage au ventre, à ces personnes âgées qui se disent que, au fond, il nous faudrait une bonne guerre.


Et pour l’apéro, ou plutôt pour l’après-euro ? Une bonne guerre, bien mousseuse, SVP.


Histoire de savoir pourquoi vous roter, euh pardon, pourquoi vous rater cette cible du bien-être et de l’égalité des chances chantée à tue-tête.


A tue-tête, précisément.


C’est un peu bête ce cimetière du sens pratique et du savoir-vivre que le règne entrepreneurial n’a de cesse de creuser.


Ces mots de Villa-Mattas que Benoît m’a envoyés :


" La recherche quotidienne de personnes aimables, bien élevées, au caractère agréable, me fatigue. Je me sens de plus en plus las de tous ces êtres qui nous maltraitent tant. La mauvaise humeur générale, l'impolitesse régnante sont insupportables. Plus nous progressons dans le bien-être, plus les gens sont horribles et d'humeur maussade. Peut-être est-ce la conséquence des luttes sanglantes menées pour accéder à ce bien-être. Il n'empêche que le bon caractère est, de toutes les qualités morales, celle dont notre monde a le plus besoin et il est sûrement la conséquence de la tranquillité et non de progrès insensés."


Accrochée à sa fenêtre, elle regarde défiler la vie des autres, se disant que la sienne a déjà filé, se demandant sans doute comment elle va réussir, aujourd’hui encore, à passer entre les mailles du filet.


Elle me demande une cigarette que je n’ai pas, je la lui donne; impression d’être ainsi en phase avec cette époque où l’inexistence s’est faite essence.


Elle la prend de bonne grâce, assez longtemps qu’elle guette, elle a compris comment fonctionne le royaume des nouveaux prophètes.


J’aime bien ta tête, me dit-elle.


Change pas de style, choupinette, me suis-je alors entendu lui répondre.


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samedi, avril 25, 2009

nos voix s'enlaçant









Passer le souvenir de mes journées au tamis, puis, sur les dépôts, vous dessiner quelques mots avec les doigts.


De ce petit tas d’émois, extirper des particules à tendre aux amis ; toujours l’indéracinable espoir de parvenir, par cette minuscule offrande du cœur, à émouvoir.


Déblayer le mou et le gris qui figent le quotidien, rendre leur éclat aux couleurs du jour, raviver le tison du refus.


Par le poétique inventer une peau éthique.


On y revient.


Et tic.


Loin du toc.


Vous imaginer lisant à haute voix, pour que la vôtre enveloppe la mienne, qu’ainsi s’enlaçant, elles nous encouragent à devenir, au sein de sa sainteté le « Tout Economique », de microscopiques hérétiques.


Ici, aujourd’hui, rappel ému de la Révolution des Oeillets.


J’attends, ne cesserai jamais d’attendre, ce jour où les rêves, en fusion, enverront sur le bûcher le grand marché des œillères.



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lundi, avril 20, 2009

Le dérèglement du monde






Il faut bien dire que l’on se sentait un peu ballonnés, après avoir déambulé de représentations de l’enfer en portraits bien austères, pour ne pas dire franchement mortifères ; de délires autour du tremblement de terre en Christ, les quatre fers en l’air, mettant en garde contre Lucifer.


Café ?


Café !


Maintenant que nous avons pris connaissance de ce qui compose la collection du musée d’art antique, la superbe cour donnant sur le Tage, impossible à apercevoir depuis l’extérieur, en est d’autant plus apaisante.


Il nous fallait un peu de joie et de légèreté ; que le musée ne compte pas sur nous pour lui faire de la publicité.


Vous pouvez passer votre route, manants !


Les beautés de Lisbonne sont dans des lieux bien moins éminents.


Cheminant dans nos pensées, la tournure de notre conversation n’en est pas moins rapidement devenue bien sérieuse, comme souvent lorsque l’on s’aventure sur des sujets qui nous minent.


D’un certain désoeuvrement adolescent en passant par l’augmentation critique du nombre de « cas cliniques », que favorise assurément la toute puissance du « Clic », empêchant bien d’autres déclics, plus éthiques ; si l’on ne considère pas encore ce mot comme une étrange relique.


Nous avons parlé aussi, sans trop nous éloigner du Schmilblick, des « hic » propres à la famille, cette vieille barrique.


Y a un moment où tu soignes ton hoquet, satanée bourrique ?


Très bien, très bien, j’arrête de faire le slammeur aux mimiques d’épileptique.


Nous avons continué de déplier nos interrogations en nous rendant au centre-ville où rendez-vous était pris auprès d’une statue à la dégaine, dixit un pote de Chloé, « hip hop ».


Je me suis vite éclipsé pour retrouver Meike et une de ses collègues allemandes, elles étaient là pour raisons professionnelles.


Meike m’a expliqué que plusieurs de ses élèves (elle est chargée de cours dans un séminaire sur l’application du droit international à des cas de figure précis (protocole de Kyoto,…)) se mettent dans tous leurs états lorsqu’elle ne leur attribue pas la note maximale.


J’essayais de me représenter la scène :


« Mais madame, vous m’avez mis « bien », vous ne m’avez pas mis « très bien », vous avez ruiné ma carrière à venir, est-ce que vous vous en rendez compte ? »


J’ai réfléchi depuis hier comment dire quelque chose d’intelligent à ce sujet, j’ai tenté de me réjouir de ces étudiants bien comme il faut qui seront aiguisés pour les débats diplomatiques, je me suis rappelé que si tout le monde était aussi perdu et peu assidu que moi, ce serait un sacré merdier (ça c’est sûr…); mais je n’arrive pas à « adhérer » à ces procédés, le culte de l’excellence me semble tellement éloigner du mouvement de la vie qu’il m’anéantit, simplement.


En rentrant, je cherchais dans les sourires édentés des vieilles aux fenêtres, ainsi que dans les gosses jouant au foot, une fois de plus, une manière de me tranquilliser (Comment ? Vous aimeriez une ordonnance ? Tout de suite monsieur !), un moyen de ne pas être complètement d’accord avec Amin Maalouf et l’essai qu’il vient de sortir, intitulé « Le dérèglement du monde ».


Il s’y demande, je cite, « si notre espèce n’a pas atteint son seuil d’incompétence morale ».


Je voyais alors cette inscription, répandue dans la ville, qui dit « Tellement de maisons sans personne à l’intérieur » ; s’y superposaient les cartons et les couvertures des sans-abri, autour de la Place du commerce, et ailleurs.


« Au centre-ville, tout de même !!! » m’avait dit la collègue de Meike, un peu plus tôt.


J’ai allumé Internet, j’ai relu le superbe message dominical de ma maman.


Sourire.


Puis j’ai lu cet article de Rima Elkouri, une femme en compétition avec Lhasa, pour me passer la bague au doigt.


Soupir.


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samedi, avril 18, 2009

de la proximité avec ses turbulences intérieures






« Nous arrivons, avec mes musiciens, d’une tournée au Portugal. Le fado est une musique qui me touche depuis longtemps, alors, comme nous avons passé du temps dans ce pays si particulier, j’ai eu envie d’apprendre un morceau d’Amalia Rodrigues. »


Elle avait commencé une chanson qui, comme tout ce qui la traverse, s’était avérée bouleversante. Puis, alors qu’elle touchait à sa fin, coupure de courant, généralisée.


Plus de lumière, plus de son, pendant une trentaine de minutes. Nous étions sous le « Dôme » du Paléo festival de Nyon, je ne l’avais jamais vu pareillement rempli. Débordant, pour tout dire.


J’avais découvert Lhasa quelques mois plus tôt, en Ecosse, grâce à une compilation de Joëlle. Dans le bus pour Inverness, une biographie de Gary sur les genoux, elle m’avait passé un de ses MD. Dominique A, Mathieu Bogaerts, Miossec,…


Tout d’un coup, j’arrête de lire.


« C’est qui ? Cette voix ? Cette ambiance ? »


« C’est Lhasa, elle est Mexicaine je crois. »


Ces jours, accrochés entre 2002 et 2003, restent comme une des escapades les plus merveilleuses de ma vie. On y avait beaucoup papoté avec Joëlle que je ne connaissais pas depuis longtemps, nous avions beaucoup aimé Glasgow dont nous avions eu un écho mitigé, ainsi qu’Edimbourgh, ville indescriptible.


Nous devions être quatre, deux s’étaient désistés peu avant le départ prévu. « T’es quand même motivé », m’avait-elle demandé au téléphone. « Tu rigoles ? » pour unique réponse.


Nous avions lu beaucoup, passé de longues heures avec du thé, à l’abri de la bruine qui semblait ne jamais vouloir s’arrêter. Hormis les pages de Dominique Bona sur Romain mon amour, j’avais avalé « Hier » d’Agosta Kristof, « Caligula » et « Le malentendu » de Camus, un livre du leader de Public Ennemy, et un sur Otis Reding.


Plus de lumière, plus de son, pendant une trentaine de minutes. Nous étions sous le « Dôme » du Paléo festival de Nyon, je ne l’avais jamais vu pareillement rempli. Débordant, pour tout dire.


Allaient-ils reprendre le concert ? Allait-elle faire sa diva, même si cela semblait impossible au vu de cette sensibilité merveilleuse, de cette envie de partage et de proximité avec ses turbulences intérieures qu’elle nous avait déroulées jusque là ?


Les problèmes techniques résolus, elle est revenue, avec un sourire flottant.


« C’est l’anniversaire de mon musicien, ici présent, qui m’accompagne depuis mes débuts. C’est un peu comme si nous avions soufflé la plus grande bougie du monde pour lui souhaiter plein de choses merveilleuses.

Je crois que nous en étions là. »


Ils ont repris très exactement au moment de la coupure, il restait une dizaine de secondes du morceau, ils l’ont jouée.


Après le concert, elle est venue pour un troisième rappel, les larmes aux yeux.


Je l’ai revue à Genève, puis à Morges où elle avait interprété, accompagnée seulement par un violoncelle, un morceau de Fayruz. J’ai des frissons rien que de l’écrire.


C’est Lhasa qui m’a fait découvrir le fado ; le Portugal, c’est donc aussi elle, en partie.


La semaine dernière, prenant une ruelle que je n’avais pas encore parcourue, à cinq minutes de chez moi, ma curiosité a été titillée par une inscription, sur une maison. Amalia y est née. A cinq minutes de ma chambrette.


Hier, Benito m’a envoyé un message intitulé « Tiens ! Qui est là, à la terrasse du café ? » (la grande dame habite Montréal, comme si je n’avais déjà pas assez de raisons de m’y rendre sans cela…), avec en lien un article concernant le nouveau disque, enfin, de ma future femme.


Il me disait aussi que souvent, quand il vient sur le blog, il reçoit des spams et autres réjouissances électroniques, ce qui m’attriste et m’agace.


Ainsi je m’excuse auprès de ceux qui connaissent ce genre d’inconvénients, si vous êtes moins perdus que moi en informatique, et que vous pouvez de ce fait m’expliquer comment me débarrasser de ces intrus, n’hésitez pas à me le faire savoir.


Bien tendrement vôtre

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jeudi, avril 16, 2009

le quai le plus sûr pour contempler le monde





La vieille dame secoue la tête pendant que la maraîchère arrange ses cheveux. Un amoncellement de couleurs et de fraîcheur les sépare. Derrière elles se devine un étal de poissons. Plusieurs mètres au-dessus de leurs têtes, des néons sont allumés, sans trop que l’on comprenne pourquoi, la lumière qui, de l’extérieur, s’engouffre dans cette halle immense semblerait suffire.


L’agitation et les conversations tournant autour du prix des denrées me parviennent étouffées ; entre cette partie du marché et moi, la vitre du café où j’aime venir, de bon matin. Les chaises en plastique détonnent au milieu d’une abondance d’azuleijos. Le bar, constitué d’un amoncellement de fausses briques, s’avance d’étrange manière dans la pièce en L.


Le serveur arbore, derrière son tablier, une cravate surprenante. La radio disperse volontiers une soupe pop qui, ici, l’exploit n’est pas mince, ne m’horripile pas.


A deux pas, Cais do Sodré regarde tranquillement se presser les gens qui débutent leur journée, ils arrivent depuis l’autre côté du Tage, ou depuis les trains qui le longent entre Lisbonne et Oeiras.



Composant avec mon dictionnaire un milieu de terrains qui ferait frémir même celui de Barcelone, nous déchiffrons avec plaisir et abnégation les schémas de jeu de « Ler », le mensuel des livres et des lecteurs.


Sur la couverture, Antonio Tabucchi, que je révère depuis ma lecture de « Tristano meurt », il sourit, orné d’un béret délicieux.


« L’écriture est un animal sauvage », dit-il, « pas un animal domestique ».


Oh que oui.


Il n’habite pas loin, au sommet de la colline qui me fait face, à Principe Real. Je serais ravi de l’y croiser, un jour, je n’hésiterais alors pas à engager la conversation, en français, puisqu’il écrit aussi bien dans cette langue, qu’en italien, il l’est, ou qu’en portugais, langue qui l’a adopté ; en fait non, il s’agit plutôt d’une histoire d’amour.


Né à Pise, il a découvert Pessoa en français, pendant qu’il étudiait à Paris, il a donc décidé d’étudier le portugais à Sienne, où il a rédigé une thèse sur le surréalisme au Portugal.


Il y a des types qui font plaisir, comme dirait l’autre.


Devant moi, un livre décapant de Christiane Rochefort, emprunté à l’IFP. Son titre, « Le monde est comme deux chevaux », semble se confondre avec ces lignes d’Aline Vieira, extraites d’un livre de photos sur le fleuve tout proche :


« Même si un jour il n’y a plus de bateaux qui m’attendent, je saurai toujours que Lisbonne est le quai le plus sûr pour contempler le monde. »


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mardi, avril 14, 2009

fuir par une faille








Déborner : faucher à la faux autour des bornes, pour éviter d’occasionner des dégâts à la faucheuse.


Il est bel et bien terminé. Je me prélasse dans le petit lexique qui se trouve après la brève chronologie qui lui est consacrée.


J’avais lu le premier volume à Fribourg, il doit être en bonne compagnie, chez Vivette la flèche, à présent.


Le second, pris dans mon baluchon, je l’ai tiré en longueur. Je m’interdisais d’en lire plus de quelques pages. Je l’ouvrais, j’étais directement envahi par cette indéfinissable joie mélancolique. Je le refermais, il restait la main sur mon épaule.


Epaule, un mot qui revient souvent sous sa plume. Ce point de jonction entre cette tête, trop surchargée chez lui, et les bras, qui s’activent en permanence chez ces agriculteurs qu’il aime.


Il rêvait d’une harmonie parfaite avec ce milieu où il ne comptait pas les heures passées à marcher, à sentir et observer. Il a arrêté quelques moments suspendus, sur pellicule et sur papier, mais, en lui, cette lourdeur en permanence, ou presque. Désaccordé, c’est ce qui hurle dans les dernières pages éparses de son Journal.


Désaccordé, pour quelqu’un qui n’a jamais vraiment été accordé, voilà de quoi voir se superposer un calvaire poisseux sur chaque minute s’égrenant péniblement.


« Depuis combien d’années – beaucoup, peut-être – a commencé cette croissante offensive du silence intérieur qui me cerne aujourd’hui – j’allais dire sans issue et sans merci, mais au plus extrême du sentiment de l’inéluctable, l’espoir essaie encore de fuir par une faille, « attendre » n’apparaît pas encore totalement, absolument vain ».


Il écrit cela le 18 juin 1960.


« Avant de reprendre route vers Neyruz, je m’assieds un instant sur le banc mince devant le mur du sud de la chapelle, (couleur de) lie de vin, que trois platanes nappent de leur ombre avant de s’agripper en festons fantaisistes et mouvants à la façade au gros crépi. »


Ainsi commence sa dernière note. Une nouvelle fois cette tentative de communier avec la nature, tout d’abord par le regard et la peau, puis en captant un soupçon de cette atmosphère sur papier.


Il n’y a qu’un minuscule paragraphe de plus. Nous sommes le 2 octobre 1971, il ne sera libéré que cinq ans plus tard. Cinq ans pendant lesquels il n’écrit plus, mais où il refuse de se donner la mort qu’il sent pourtant si présente.


Alternant avec ce dernier café que je prenais en compagnie de Gustave Roud, je marchais, beaucoup, avec Carl Seelig et Robert Walser (« Promenades avec Robert Walser », Carl Seelig).


Robert Walser (tu veux pas écrire son nom encore une fois ?) et Gustave Roud, deux des plumes les plus délicates et délicieusement décalées que la Suisse a vu naître.


Deux écrivains dont l’humilité, dont la volonté de se tenir à l’écart de la scène, littéraire ou pas, m’imposent un respect que je peine à décrire tant cette attitude me semble toucher au plus juste.


Rarement l’authenticité a atteint un tel degré de sacerdoce a-religieux.


Un moment, rentrant de Gossau, Walser (ah, quand même !), fustige les ecclésiastiques qui se cramponnent à une ascèse dont la nécessité n’apparaît pas à leurs propres yeux, simplement parce que la tradition le veut. Seelig lui demande alors ce qui serait exigé d’eux, aujourd’hui.


« Moins parler du Christ, davantage l’imiter. »


Il a passé les vingt dernières années de sa vie dans une clinique à Herisau, n’écrivant plus, passant ses journées à participer aux activités de l’endroit, demandant même à Seelig de ne plus venir le trouver durant la semaine, parce qu’il ne voulait pas passer pour un privilégié aux yeux des autres. Les promenades doivent avoir lieu le dimanche, c’est tout.



Me sentant bien peu en phase (ah ouais ?!?) avec le tissu d’ambitions que l’on tente de tresser sur nos chaussettes, dès le plus jeune âge, je trouve dans la grâce de ces êtres qui ont su chercher, aussi bien que se chercher, sur des sentiers à l’écart du règne des Nombrils argentés, une voix et une oreille qui caressent mes inquiétudes, tout en soufflant de la poussière de beauté sur mes incertitudes.


Mourâ-biâ, n. m. : vent d’ouest chaud et sec, soufflant en été. Littéralement : mûrit-blé.


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dimanche, avril 12, 2009

L'enchantement opère, directement

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samedi, avril 11, 2009

l'indéfinissable de l'indifférence









Les nuages défilent, déifiant mon imagination, défiant les rêves défunts, les songes défaillants ; un papillon semble avoir gobé une sorcière, un lapin remue du popotin, encouragé par un pépé sans dentier ; souvent se déploie un phénix renaissant de ses cendres moutonneuses.


Il me fait un clin d’œil à chaque fois, petit baiser blanc sur ma pesanteur du moment.


Mes chaussures en guise de coussin, je sens le vent qui s’engouffre dans la cour, me décoiffant dans le sens inverse de la course du troupeau ouaté ; mouvement contraire qui polit mes jours en une symphonie de frissons irréconciliables.


Traquer les failles dans l’indéfinissable de l’indifférence.


Ces mots écrits du bout des lèvres, hier soir.


Ne pas les comprendre, alors les relire encore. Encore.


On m’avait parlé de l’endroit mais je n’y étais pas encore allé. Le taxi ne connaît pas, nous nous égarons, tout d’abord. Renseignements pris, nous arrivons, impatients de voir si notre curiosité sera dorlotée.


Porte d’entrée à peine franchie, mon cœur met mes regards à nu, j’ai les yeux à fleur de beau. Cela peut donc exister. Pablo, il est là le café littéraire que nous avons rêvé. Escorté par une béatitude un peu irréelle, je voltige de la salle Arendt à la salle Deleuze, je m’assieds dans la salle Nietsche.


Une femme à la présence déstabilisante, irisant sa voix dans des foyers ardents inexplorés. Il y a d’abord eu un piano et une contrebasse ; puis la même configuration, dans une autre pièce, avec une batterie ; un peu de bossa-nova, aussi.


Traquer les failles dans l’indéfinissable de l’indifférence.


Deux couettes pour l’équilibre, elle chante, elle pleure, elle gémit, encouragée par l’homme qui aime son clavier, juste à côté ; elle ausculte nos oreilles formatées, elle s’insinue dans les recoins de notre tumulte.


Sortir du papier.


Pour ne pas que mes paupières flanchent, minuit passé, il faut que je me téléporte dans un univers parallèle ; pour que j’ai envie d’écrire, il faut des circonstances miraculeuses.


Je me suis relu à la Casa do Alentejo, cet après-midi, pendant que l’Inter jouait contre Palerme, que chaque geste d’Ibrahimovic respirait une facilité insolente ; j’ai tenté aussi de traduire quelques poèmes de Nuno Judice, exercice plus palpitant que les leçons bien « pratiques » de mon manuel.


Toujours ce poétique qui me traque, me détraque, matraquant en partie ma « conformabilité », me braquant dans l’inconfort de la quête entreprise, guetter lorsque la beauté se conjugue à l’amabilité.


Les nuages défilent, déifiant mon imagination, défiant les rêves défunts, les songes défaillants ; un papillon semble avoir gobé une sorcière, un lapin remue du popotin, encouragé par un pépé sans dentier ; souvent se déploie un phénix renaissant de ses cendres moutonneuses.


Le ciel me raconte sa version de « L’Histoire sans fin », Falcor est blotti dans mon cou, il tente de me protéger de Gmork, serviteur du Néant, bonne tête de banquier, qui se rit de mes raccourcis et de mes indignations.


Allongé sur le sol, le froid vient prendre la main du nébuleux attablé dans mon ventre.


Je rentre, me fais un café, lui demande s’il est d’accord d’aimer un biscuit. Je porte la douceur, puis la tasse, à mes lèvres.


Falcor est encore là, Gmork aussi, il guigne depuis la poubelle, avec son détestable air replet.


Je m’approche, l’envoie valdinguer ailleurs d’une demi-volée millimétrée.


Il ne l’avait pas volée.


Je me retourne, me propose de vous écrire, de continuer à vous dévoiler la toile déjantée qui étoile le toyet que je suis ; qui aussi l’étiole, parfois.


Jamais longtemps.


Traquer les failles dans l’indéfinissable de l’indifférence.


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