katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

dimanche, janvier 29, 2012

Nossa Senhora do Monte







Un groupe d'Anglaises en train de se faire photographier


avec


puis sans flash


une jeune fille à l'air désespérément triste


lisant


puis notant quelques mots dans son carnet


moi qui hésite


l'observe discrètement


décide de la laisser ruminer toute seule ses mauvaises herbes intérieures


une autre groupe d'Anglaises qui arrive, la suite du troupeau en fait,


elles courent pour que leurs appareils ne ratent pas le coucher de soleil, qu'elles ont, pour leur part, déjà loupé


des moments nous passent sous le nez comme des trains, sans même qu'on s'en aperçoive


c'est que le regard a besoin de certains élémentaires égards


un mec cool les suit, il a quelques bouteilles et quelques blagues à deux balles en guise d'attirail


la jeune fille a déplacé sa tristesse qu'un chien reniflait de trop près


il y a à main gauche des travaux entravant la meilleure partie du tableau que je contemple en simple badaud


me revient alors, mince fil d'images reliant les crépuscules, le corps magnifique, noir, nu, qui allait à la rencontre des vagues, au moment où la pelote de rayons rouges s'extirpait à l'horizon, samedi matin


personne à part nous deux, lui sorti il y a peu de son abri d'infortune, tout proche, qui bientôt ne pourra plus l'être, parce que l'endroit est en mutation, le bord du Tage se rêve plus propret


j'ai levé la main


en réponse lui aussi


je ne sais pas si on peut dire qu'on s'est aimé l'espace d'une seconde, mais presque, on a embrassé ensemble le fragment d'absolu qui voltigeait autour de nous


oui en fait


on s'est aimé l'espace d'une seconde


et de l'écrire à présent


c'est difficile à expliquer


mais je me sens comme un peu plus grand


et je souhaiterais que lui du coup aussi


jeté qu'il est dans cette drôle de vie


ayant en permanence le dehors pour décor


ce qui peut vite faire des dégâts au niveau du corps


et de l'esprit


alors oui on s'est aimé l'espace d'une seconde


et on était bien dans notre commune et fragile humanité


la Ginga est désormais dans les verres des touristes, ce qui a le don d'étoffer les gloussements, d'étouffer en partie l'apaisement de ceux n'étant pas conviés à faire santé


la jeune fille s'éloigne, sans doute trop de légèreté dans l'air désormais, cela ne colle par avec le goût de fin du jour qu'elle a jusque dans la bouche


un peu avant, dans un café tout proche, je m'entortillais les pensées sur du papier, tentant de faire entre « âme » et « authenticité » un trait d'union, me demandant s'il ne fallait pas se résoudre, les concernant, à ne faire que des traits


le chien vient flairer un autre couillon, here I am


cela caquète de plus belle dans la colonie vacances diversement vertébrées


arrive alors une fulgurance de quoi


quatre ans


disons cinq


se souciant peu des exhortations de sa maman


« ne va pas là-bas ! »


longeant la barrière


« fais attention ! »


engloutissant le paysage


« cette fille me rendra folle »


s'invitent alors dans ma caboche, sans trop que je sache pourquoi, les paroles de Sara quand je lui ai dit qu'elle n'avait pas besoin de ses bottes:


« la pluie est encore en train de dormir, mais on ne sait jamais »


la fulgurance se tourne vers moi


j'ai dû penser trop fort


il y a de ces êtres qui sentent les frémissements qui vous parcourent


elle me regarde en souriant


s'approche


dépose sa petite main sur mon genou:


« t'as remarqué que depuis ici on voit le monde entier ?!? »


Libellés : ,

mardi, janvier 17, 2012

les éclaboussures de la nuit







Sur les quais que l'on distingue depuis notre fenêtre, les éclaboussures d'une nuit pluvieuse avaient, dimanche matin, dessiné des racines au fleuve ; qui n'en courait pas moins après les marées, moi à sa suite. Encore que je m'accorde un peu de laisser-aller ces derniers temps, concernant l'enchaînement des foulées ; pas envie de bousculer ma carcasse déjà diversement sollicitée par les intempéries de la vie.


Lors de mon premier séjour à Lisbonne, je ne m'étais que peu approché du Tage, je l'avais flairé de loin. Ses bordures étaient d'ailleurs difficilement praticables, depuis le centre de la ville, du fait de travaux à rallonge. Cela a bien changé.


Désormais j'y vais, je m'assieds, ou pas ; et voilà que ça s'écrit même sans papier.


A l'étage supérieur du marché de Cais do Sodré, l'après-midi en question, il y avait thé dansant à volonté. On y croisait des couples nouvellement formés, d'autres anciennement déformés ; aussi un benêt cherchant où s'attabler sans payer, histoire de noircir quelques feuillets. Il regardait le bal enjoué d'un oeil inattentif, de loin ; on balance vigoureusement entre pathétique et ridicule, se disait-il sans trancher.


Annick est arrivée. Annick, alors que l'on buvait le premier café du séjour, à Adamastor, a dit qu'elle avait à coeur, ces temps, de comprendre certaines choses qui depuis longtemps lui échappent : l'amour, les marées,...


J'ai hasardé que l'amour avait sans doute quelques choses d'assez proche du déploiement et du retrait des marées. Peut-être s'agit-il donc d'apprendre à marcher sur le sable, patiemment, calmement, quand l'eau s'est retirée ; guettant, du bout des yeux et des doigts, les curiosités qui y sont restées. Attendre que l'eau revienne nous caresser les mollets. La laisser peu à peu nous habiller. Et les heures où cela est à nouveau possible, nager comme si notre vie en dépendait.


Il y a un poème d'Al Berto, intitulé « Vestiges », qui commence comme ça : « Dans d'autres temps / quand nous croyions à l'existence de la lune /... »


J'aime écouter des émissions radiophoniques lorsque je façonne du pain. Concentré, appliqué sur mes gestes, je prolonge mon attention dans les paroles émises. Pierre Alechinski, il y a peu, me parlait de Christian Dotremont pendant que je pétrissais la pâte. Les écritures du second nommé sont de passage à Paris. Son ami expliquait qu'elles y arrivaient enfin après avoir beaucoup circulé de par le monde. Première exposition au musée Jenisch, à Vevey. J'y étais. Quelque part entre fin 2004 et début 2005. J'avais été très impressionné par ces textes que l'on ne parvient pas à déchiffrer ; il faut s'en remettre aux mots figurant en petit, au bas du tableau, qui donnent alors un sens à l'émerveillement premier. « J'écris pour voir », disait il ; mouvement inversé de ceux qui découvrent ces oeuvres, qui aperçoivent d'abord, interpelés, puis qui, se penchant pour lire, voient ensuite plus complètement. J'avais recopié ceci, dans mon carnet de l'époque : « J'ai eu des mots avec le soleil et des silences avec la nuit. »


« J'écris pour voir », ceci ne m'a jamais quitté depuis lors ; l'autre phrase non plus d'ailleurs.


Annick nous a parlé de son travail dans des archives, qui n'est pas passionnant, non, juste alimentaire. Les archives évoquent, dans la mosaïque de mes souvenirs diversement colorés, celles de la ville de Neuchâtel, gardées à la Collégiale, un site magnifique, où, si l'on ne s'est pas laissé effrayer par la statue imposante du protestant mythique de la ville, on peut voir le lac qui somnole ou s'affole, ça dépend. Le séminaire pour lequel je devais défricher des vieux papiers s'intéressait à la ligne de chemine de fer entre Neuchâtel et La Chaux-de-Fond, moi pas. Du coup, je fouinais un moment, pas bien longtemps, puis j'allais sur un banc ou au café du coin.


Je lisais « L'insoutenable légèreté de l'être ». J'avais la sensation que la manière dont Kundera disséquait les scènes qu'il romançait me nourrissait davantage que les comptes du canton. Cette impression n'a pas changé d'un iota, mais devant désormais m'amuser à noter sur un carnet mes dépenses pour voir quand je peux m'autoriser des cafés, qui coûtent ici moins d'un euro, je comprends aussi pleinement qu'il y a nourriture et nourriture, que des deux jamais je n'ai manqué, mais que c'est agréable quand on a un peu plus de marge au niveau de son porte-monnaie.


Hier matin, je suis sorti pour laisser tout ce qui m'orage cheminer en moi. A Portas do Sol, slalomant parmi des tables en train de se dresser et des flaques gorgées de ciel, un vieux monsieur, sacoche à la main, écouteurs sur les oreilles, dansait, dansait, sans se soucier des aboiements pressant d'un chien, pas loin, sans se soucier des crissements et des klaxons du tram, sans se soucier des premiers appareils photos qui commençaient à arriver, sans se soucier de rien. J'ai repensé à ce que dit Kundera, que souvent, plus on relit une histoire drôle, plus elle devient triste. Je regardais le bonhomme qui continuait de tourner, déjà éméché à 9h du matin, sans doute plutôt encore imbibé de la veille. De la veille de la veille. De la veille de la veille de la veille. Je le regardais et je me disais que lui c'était le contraire, à force d'avoir regardé sa misère, elle avait fini par lui donner, pendant quelques insouciantes minutes, un immense bol d'air.


A la place du commerce, avec un sono dont il aurait pu se dispenser, un type chantait, sa guitare l'accompagnait. Bob Dylan. J'ai continué le long des quais, pour écouter cette réponse que le vent aurait dû m'apporter.


C'est étrange de se sentir dans la peau d'un arbre dont les racines seraient une arabesque infinie et invisible dessinée par les oiseaux qui s'y nichent.


Libellés : ,

mardi, janvier 10, 2012

embarquer du regard







Et puis que surgisse un peu de tout. Mes yeux emplis de bruine, par moments, condensant le versant humide de journées lunatiques. Grand huit saisonnier difficile à maîtriser. En surimpression, alors, les fameux mots d'Henri Calet : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. » Dernière phrase de son ultime livre, inachevé.


Et puis que surgisse un peu de tout. La malice du type, dans un café où j'aime aller de bon matin - terrasse à l'ensoleillement minuté, improvisée qu'elle est entre escaliers et bâtisses plus ou moins déglinguées -, qui me dit en riant que si je veux de l'eau, dans mon verre, il faut que je demande un verre avec de l'eau, autrement il me le sert vide, et qu'alors je pourrais tout juste faire de la musique à l'aide de ma petite cuiller.


Et puis que surgisse un peu de tout. Les râles, c'en étaient, du type emballé dans une couverture, niché contre le mur d'un passage étroit de l'Alfama ; râles qui m'ont fait sursauter alors que je m'attardais sur un paroi en ruines où quelques ombres jouaient ; râles que je suis allé questionner, en obtenant d'autres en réponse, plus étouffés, qui m'exhortaient de passer mon chemin sans m'apitoyer.


Et puis que surgisse un peu de tout. Le mec, sur une table devant le café Tati, qui a attaché deux de ses chiens pour mieux prendre le plus petit sur ses genoux, lui proposant de profiter avec lui de quelques images osées se déroulant sur son I-Pad. Un gars étrange à qui je repenserai, un peu plus tard, faisant une boucle imaginaire en attendant l'heure de la séance que j'avais prévu d'aller voir à la cinémathèque, tour pendant lequel une prostituée m'a accosté,


t'aurais pas une cigarette ?!?


pensant vraisemblablement que j'étais trop timide,


tu voudrais pas autre chose ?!?


qui n'a pas pris le temps de répondre quand je lui ai proposé de m'accompagner pour voir « Autoportrait d'un inconnu ». J'aurais voulu la revoir, plus tard, pour glisser dans sa nuit mouvementée quelques unes des paroles de Cocteau, notamment celles où il parle de Picasso, qui lui a « appris à courir plus vite que la beauté, à insulter les habitudes, à hausser les gestes de la vie quotidienne jusqu'à la danse. »


Et puis que surgisse un peu de tout. L'incongruité d'un rêve dans lequel je discutais avec Tony, l'employé communal de Champagne, le village au sein duquel, pendant des années, le foot était presque toute ma vie ; un Tony avec qui je parlais des répercussions de la privatisation sur la planification de ses saisons. Ben voyons.


Et puis que surgisse un peu de tout. La douceur d'après-midis de janvier pendant lesquelles on peut, dans des endroits stratégiques, s'attabler dévêtus, embarquant du regard dans les parenthèses que les voiliers ouvrent sur le Tage, nous laissant le soin de les refermer ou pas.


Et puis que surgisse un peu de tout. Et que cela soit l'incessant brouillon qui m'est aussi un bastion. Blason d'un gustion qui s'en va et s'en vient s'écrivant, avec le blanc s'escrimant, contre le vent parfois s'écriant. Certains ont mis une vie pour ne pas devenir écrivain, ce qui ne signifie pas qu'ils ont écrit en vain ; j'irai peut-être m'asseoir avec eux sur un banc, après, là-bas, dans ce « quelque nulle part » que d'aucuns appellent l'au-delà ; peut-être, mais j'espère d'ici là avoir, quoiqu'il en soit, refuser de rentrer dans le rang.


Et puis que surgisse un peu de tout. Car lisant, beaucoup, et écrivant, un peu, je me déplace dans un quadrillage inexistant qui me convient ; j'ai la sensation d'écouter hier et demain qui se donnent la main. Il n'en faut pas davantage pour qu'aujourd'hui se sente plus malin.


Libellés : ,

lundi, janvier 02, 2012

fragments marins


Sur la place de la joie, on trouve quelques arbres qui semblent artificiellement gonflés, on se demande ce qui va sortir de ces troncs difformes ; j'y reviens régulièrement, une réponse s'impose : vraisemblablement rien. Plusieurs de ses bancs sont squattés par un monticule d'objets, plus ou moins insolites, tenant compagnie, et probablement rendant moult services, à la personne, à côté ou dessous, qui y passe ses jours et ses nuits. En premier plan, suivant l'endroit depuis lequel on risque un oeil, une plaque en hommage à l'homme, son nom est absolument dispensable, qui a écrit l'hymne national. Un texte qui commence comme suit: Héros de la mer, peuple noble / Nation vaillante, immortelle / Lève-toi aujourd'hui à nouveau / Splendeur du Portugal.


Le ridicule du refrain guerrier se glisse dans mes pensées quand je regarde une ombre physiquement incarnée en train de faire les poubelles, me disant alors que l'expression correcte serait, au contraire, défaire les poubelles. De même que les hymnes nationaux ne sont plus chantés, mais désenchantés, et considérablement éméchés.


Après avoir traversé la foule se piétinant parmi devant les magasins de la Baixa, j'aime bien venir lire ici. Parfois un de mes potes, sur une banquette, qui braille quelque chose d'incompréhensible ; je lui fais un signe de la main, pouce tendu, juste histoire de lui montrer que j'ai vu qu'il existait, ce qui le calme de suite. Une fois, il y en a un qui est venu me mettre la main sur l'épaule en me demandant si je savais ce que j'étais. J'ai répondu que non, ou que cela dépendait des jours, mais que j'étais très curieux d'entendre sa réponse. Alors il a décrété, me serrant dans ses bras, que j'étais un bouddhiste.


Au premier de l'an, la place du commerce était jonchée de débris. Une impressionnante surface couverte de tessons de bouteilles, de restes de nourriture, de lambeaux d'humains, certains endormis chemises ouvertes ; ils risquent de se rappeler quelques jours d'avoir perdu pas mal de notions basiques en fêtant la nouvelle année.


Pour notre part, nous avons, en ce dernier jour de 2011, traversé en direction de Cacilhas, pour nous plonger dans un plat de fruits de mer. Le bruit de l'eau, les bouches ouvertes des enfants de Dorothée, les lumières qui s'étaient engouffrées et se dispersaient dans la nuit fraîchement surgie, tout cela me remémorait de nombreux réveillons, revenus de plus ou moins loin, passés plus ou moins loin.


Glasgow, Pukhet, Sète, Valence (Espagne), Paris, Berlin.


Puis tout ceci s'est figé en un point, celui de la concentration nécessaire pour fendre une patte de crabe sans que mes voisins profitent de ma maladresse.


J'ai échoué, des fragments marins se sont tout de même disséminés, dans un sympathique brouhaha de rires et de verres qui s'entrechoquaient.