katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

samedi, décembre 21, 2013

I Wonder as I Wander

mercredi, décembre 18, 2013

orgueil de pauvre



"A telle lumière étrange
qui parfois
saisit la ville
d'une gloire généreuse,
je ne sais pourquoi
je me dois de répondre.

Orgueil de pauvre
qui veut changer les mots en perles
comme un enfant
un peu de sable en or."



Catherine Fuchs



Les Mots, peut-être

et autres poèmes
(1990 - 2013)


éditions camPoche

vendredi, décembre 13, 2013

s'inventer dans les intervalles







Malgré les gants, le froid mordillait les mains. Passées deux fois sous le pont de l'autoroute, les foulées prenaient à présent la direction du chemin de la colline; là-haut, peut-être, une chance de voir poindre le bleu; une petite chance de rien du tout, oui, mais pour un bleu qui enflammerait bien plus que les joues.

Un peu plus avant, sur le chemin, commençait à se dessiner dans le brouillard une silhouette à la démarche étrange. Cette apparition était entourée de choucas formant une inquiétante nuée. Peu avant d'être rejointe, la forme humaine tourna à gauche, brusquement, ce qui permit d'éclairer le pourquoi de son allure troublante. C'était les mains dans les poches que courait cette ombre en training. Le buste, exagérément penché en avant, faisait penser à la proue d'un navire qui aurait été en train de fendre ces eaux brumeuses dont le nord-vaudois s'abreuve abondament.


Pratiquement rien de la rentrée littéraire (déjà oubliée depuis longtemps par ceux qui la font, du dehors et du dedans, alors qu'elle avait lieu il y a à peine trois mois; cherchez l'erreur) n'est passé entre mes mains, mais je m'en veux de n'avoir soufflé mots ici d'un pétale dont la délicatesse douloureuse m'a jardiné le cœur. 

Son titre: "sauf les fleurs"; son auteur: nicolas clément. Je crois que cela prend des minuscules. Pas seulement parce que cela figure ainsi sur ce magnifique petit livre édité par Buchet Chastel, mais parce que cela souffre et aime de cette humble manière, dans la respiration de chaque page, presque de chaque phrase.

"J'aime habiller Maman, l'inviter dans ma chambre, recevoir son miroir, couvrir ses cicatrices. Car je voudrais que Maman soit belle sans attendre mes mains, que tous voient ce que je vois, la source de mon or, l'épine qui me guide, son beau visage de travailleuse. Ici, loin de l'école, deux joies me rappellent à la vie qui me gèle: coudre pour Maman et lire des histoires à mon frère. Je suis heureuse alors, je n'appartiens qu'à moi.

[...]

Sur le chemin du retour, couchés dans la remorque, nous jurons de ne jamais dormir l'un sans l'autre, même si la nuit perd ses clés. Sous la bâche, Léonce demande La solitude, tu crois que c'est comme nous quand Papa frappe? Je fais la majorette avec une brindille. Je regarde les mains de Léonce me crier Marthe, je t'ai posé une question, bon sang! Je n'arrive pas à parler de Papa qui fauche notre enfance, fouette nos lèvres, crache sur Sony et revient se moucher dans nos vies, le premier qui se sauve marque une maman."

Il y a ce qui me semble essentiel, dans la maîtrise avec laquelle nicolas clément a déplié ses existences brisées: du souffle au service d'une langue qui, de ne pouvoir dire, s'invente dans les intervalles ; une respiration qui, à partir des fissures, imagine des ailes.


Les choucas étaient ensuite allés se percher sur les branches squelettiques des arbres voisinant la ferme du coin, qui étire jusqu'à la ville une langue de vert et de terre fort bienvenue. Arrivé à la clinique de Bellevue, qui n'existe plus mais est en remodélation, j'ai pensé à Annemarie Schwarzenbach, qui était venue se reposer par ici; j'ai surtout pensé à ma maman.

Un après-midi, elle avait quitté l'établissement sans rien demander à personne. Elle s'y trouvait après un de ses premiers flirts avec les abysses. Ces passages à vide, qui étaient aussi des naufrages de trop plein, rythmeront les quinze années suivantes. La police avait été avertie de cette "fuite", mais ne savait où chercher. Ils avaient alors appelé un de mes oncles, accessoirement leur collègue, pour lui demander s'il avait une idée.

Au bord du lac, avait-il répondu. Il ne pouvait pas en dire beaucoup plus, mais il savait qu'elle était au bord du lac.

Et c'est là qu'ils l'avaient retrouvée, pieds nus, sur une de ces plages où nous avons passé tellement de moments lumineux.

C'est aussi là que je vais, souvent, pour détendre mes nœuds. Je vais me dénouer près du lieu qui m'est en même temps une attache si forte. C'est étrange, étrange et beau.