katchdabratch

S'engouffrer dans le sillon de mots indociles; y façonner des points d'appui, pour soi et quelques autres. Pétrir les silences qui sont une partie du terreau où s'ensemence ce qui nous dispose dans le jour. Les inviter à s'ébrouer. Apparaît alors parfois une ouverture, elle offre au souffle un fragment de miracle: ne plus craindre la douceur.

mercredi, janvier 28, 2015

un vent tendre et violent




Dans le train qui relie St-Moritz, en basse Engadine, à Coire, j'ai vu un monsieur, avec de la neige jusqu'à mi-cuisse, qui balayait un muret; un ballet gracieux qui se superposait avec celui aperçu au petit matin, l'automne dernier, quand nous avions tout juste quitté Teboulba pour aller prendre le bateau à Tunis, direction Marseille. Une procession aquatique composée de silhouettes de tous âges et tous accoutrements, marchant, les bras dans le dos, la mer à mi-mollets, avec comme un léger balancement de gauche et de droite, à moins que celui-ci ait été inventé uniquement par mon regard amusé. 

Un cortège dissipé, probablement à la recherche de quelques victuailles, ou d'un minuscule rien qu'un regard, une histoire, une habitude ou au contraire une exception, transformeront en trésor, comme l'incarnent si bien, je ne le dirai jamais assez, les tessons de jean prod'hom.

Le soir précédent, alors que Marie mettait Béatrice au lit, que la nuit était déjà bien avancée, je leur avais lu "Ecrire", les dernières pages du "bord intime des rivières" de Bohringer. Des pages qui sentent la fumée, l'alcool et la perte d'amis importants. C'est aussi le cas des quelques chroniques de Peter Bichsel que je leur ai imposées au réveil, le matin de mon retour en train. Mais la musique n'est pas la même. Ce serait du jazz décapant pour le premier, un arrière-fond sonore plus indéfini pour le second, quelque chose comme la soupe pop qui doit s'entendre dans les cafés de sa ville de Soleure. 

Autre grand écart entre les deux: l'urgence et l'incandescence d'une vie qui se fait la malle en criant souvent hagard, pour Bohringer, la couleur dominante étant plutôt celle de l'ennui, pour Bichsel, un ennui qui le rend philosophe dilettante, pour notre plus grand plaisir.

Le soir de mon anniversaire, seul dans un café genevois que j'aime beaucoup, c'est à nouveau Bohringer que j'avais convoqué, et Jean Sulivan, pour être avec des membres de la famille. Je les reconnais tout-de-suite, à leurs marotes, à leur rythme. Ils m'agacent tous les deux, par moments; par leurs répétitions et leurs maladresses, qui ne sont pas les mêmes, loin s'en faut, mais ils savent aussi merveilleusement m'écouter et me parler dans une valse à mille temps emplie de fraternité.

Je conversais avec eux quand m'a fait signe, à l'extérieur, un monsieur d'une bonne cinquantaine d'années, qui me montrait le ciel, puis sa main dans lequel vivotaient quelques pièces, puis le ciel, puis le froid, puis sa main. On se souriait. Et là, quand je me suis levé pour sortir, quand j'ai pris dans mon porte-monnaie quelque chose à lui apporter, j'ai vu qu'il se mettait à pleurer. 

Je me suis approché, les larmes coulaient de plus belle, des merci et des c'est dur s'échappaient maladroitement de ses lèvres. Et moi devant lui, comme un con, en t-shirt alors qu'il devait faire zéro degré, à continuer de lui sourire, à ne rien trouver d'autre à murmurer que courage, à ne pas savoir quoi faire d'autre que lui mettre ma paume sur l'épaule.

Lui ne me montrait plus le ciel, ni ses mains, il laissait juste son désespoir esquisser de fins ruisseaux dans sa barbe fournie.

Il m'a dit de rentrer, que j'allais attraper froid. Il a mis sa main sur son coeur. Il est parti, dans la nuit, vers un ailleurs proche tellement lointain du mien.


Il est parti, dans la nuit, laissant dans ma poitrine le vent tendre et violent qui soufflait si mal sur ses blessures d'éternel errant.

lundi, janvier 26, 2015

la musique d'un autre défait ta distance






A música muda você
Você muda mais alguém
Alguém muda outro alguém
Que muda você também
La musique te change
Tu changes quelqu'un de plus
Quelqu'un change quelqu'un d'autre
Qui te change aussi
Você muda a cada momento
A música muda o tempo
Você é um instrumento
A música muda você
Pra melhor, pra melhor, pra melhor
Tu changes à chaque moment
La musique change le temps
Tu es un instrument
La musique te change
En mieux, en mieux, en mieux
A música muda o corpo
E a dança ajuda a mudança
A música de um outro
Desfaz a sua distância
La musique change le corps
Et la danse aide le changement
La musique d'un autre
Défait sa distance
O mundo muda você
Os outros te mudam muito
Você muda pra crescer
A música muda o mundo
Pra melhor, pra melhor, pra melhor
Le monde te change
Les autres te changent beaucoup
Tu changes pour grandir
La musique change le monde
En mieux, en mieux, en mieux
A música muda o vento
O pé também muda o chão
Assim como o pensamento
Muda sua sensação
La musique change le vent
Le pied change aussi le sol
Comme la pensée
Change ta sensation
A música muda tudo
E tudo muda você
Você é você porque muda
A música ajuda a ser
Bem melhor
La musique change tout
Et tout te change
Tu es toi parce que tu changes
La musique aide à être
Bien meilleur

samedi, janvier 24, 2015

la maison reconstitue l'habitude des sons

"Je me trouve dans un temps impensable, je suis arrivé à la maison et la maison était vide, ceci dit, les signaux de celui qui y habitait se maintenaient - les lunettes sur la table de chevet, le livre avec le marque-page, la valise faite pour les vacances, l'étui avec la poudre et le rouge-à-lèvres - mais elle était morte la personne de ces signaux, je traverse cet arrêt soudain comme un étranger, j'ouvre la porte de la chambre et appelle: maman: le son du nom mange les résidus de ta présence, l'ombre pèse sur le mot, mais ne l'interrompt pas, le prolonge jusqu'à le rendre insupportable.

Je pleure à voix démesurée.

Par la fenêtre, le jardin m'épie.

Couchée sur le lit, Emilia voit le plafond, de biais, s'abaisser vers son corps, l'aggloméré peint en blanc, pontillé de pores où l'encre n'entre pas. Le plafond est une maladie: grains de beauté, verrues, cicatrices. Elle entend, sur les tuiles, la chiure des moineaux, le froissement de leurs ailes, et elle pense: cette merde n'isole pas. Elle s'assied fatiguée. Elle s'assied toujours fatiguée. Aujourd'hui, plus que d'habitude. Elle a rêvé de la mort de Manuel et elle n'a rien vu dans ce rêve. Elle a entendu le rêve : un son : celui du canif pour la barbe tombant sur la poitrine de Manuel déjà mort.

Elle se tourne, lentement, en direction de la fenêtre, les coudes enfoncés dans la table, la peau écrasée contre le relief de visages, ailes, poissons, fleurs, qu'Emilia taille tous les jours avec un petit couteau. Ça lui fait mal à la tête. La maison semble l'écouter : la voix de la mère, dans la cuisine, est un son lointain tellement proche : l'intimité peut aussi naître de la clarté atténuée par la distance. Face à la fenêtre, comme elle a un œil aveugle, elle attend que le corps se résolve à réaliser ce qu'il a déjà décidé, mais le corps est séparé de sa décision et elle continue immobile à observer la lumière qui l'aveugle. Les noms ne se résolvent pas dans la forme du monde. Je ne déchire pas la lumière : elle murmure. La lumière opaque. Peut-être réussira-t-elle à se lever quand la voix de la mère s'approchera. Elle saura qu'elle s'approche, non parce qu'elle entend mieux ce qu'elle dit, mais parce que le son devient plus grand : un mur de son qui la suffoque. Elle va pouvoir parler. La lumière ne décroît pas, l'aveuglement est à son intensité maximale. Pas de sons qui viennent de l'extérieur, il est trois heures. Le temps est une goutte d'eau prompte à se détacher. Elle la voit, pas l'endroit qui l'assure, une goutte qui se détache de l'opacité lumineuse du monde. Maman : elle pense dire, pourtant elle n'articule pas le mot, elle entrouvre la gomme des lèvres, elle l'entend se casser et se recueillir sur la peau des lèvres, la bouche devient froide, le froid trace en elle sa forme, de froid ? de bouche ?

-Francelina.
Ils l'appellent.

-Francelina, où es-tu ?

les pieds, à l’intérieur des bottines, sont tout le poids. Elle se lève, avec effort. Le corps oscille, pris au plancher. Elle regarde le plancher et se voit reflétée dans la cire qui le couvre, ébauche verticale et dangereuse.

               - je suis une tache.





il ne lui est jamais rien arrivé de grand, elle a vécu ce que tous les gens ont vécu. S'ils l'interrogeaient au sujet de la passion, elle répondrait étonnée que l'amour dévie les yeux des noms,


elle se tourne vers la fenêtre :
               - toute la vie le même ciel, celui-ci, contre lequel je vieillis.


Parfois, je me réveille et je t'entends bouger dans la chambre : la maison reconstitue l'habitude des sons. Je me lève et je vais dans le corridor : mes pas dévorent le chemin : jamais je ne pourrai revenir.

                 - quel voix est cette nuit une énigme ?
                 - mais ce n'est pas la nuit.
                 - c'est ma voix réduite à ton nom, c'est ton nom, obscur, qui s'amplifie


la nuit est un nom, un écho noir multiple.
Manuel.





je n'aime pas, je ne déteste pas, ce qu'il m'arrive et qu'ils m'appellent de l'étage d'en bas : voilà la proximité : un nom qui traverse la pauvreté des stucs fins, des murs de cloison, des plafonds de pin bombé, un nom bombé par le pin, dispersé par le sable du mortier, un nom qui arrête, blême, près de moi, pour que je l'écoute."


Le début de "Cri" ("Grito") de Rui Nunes, que je tente de traduire. Un livre déstabilisant, puissant, foisonnant, dans lequel il faut accepter d'avancer sans repères, en étant bousculé par des voix qui se percutent sans se répondre, des odeurs qui se mélangent sans se confondre, des couleurs qui n'en sont pas vraiment.


samedi, janvier 17, 2015

Six ans déjà, mais ton aura, toujours là

dimanche, janvier 11, 2015

Il est des phrases qui arrêtent l'esprit



La bouilloire qui siffle et ma grand-maman, tout enjouée: "Quelqu'un va venir nous trouver!". Je souris, l'entends me dire: "Regarde ça les tourterelles, elles se battent avec un corbeau; y a même une pie qui s'en mêle. Tu sais, cet arbre, qui n'est pas un sapin, qui est je ne sais quoi, je dis souvent à René que c'est un HLM."

Elle ajoute que ses volets ont "snaillé" toute la nuit, oui oui, vous avez bien lu: "snaillé", ce qui signifie qu'il y a du jeu, entre eux et le mur, et que du coup, par grand vent, ils cognent; ses volets ont snaillé durant la nuit, donc, et ceci lui a fait bien des misères.

Me viennent en têtes les paroles de Fred Pellerin, invité des "Nouvelles vagues", sur France Culture, pour parler de cinq moments marquants, et qui en a profité pour expliquer son rapport au "français canadien" (qui est pluriel, comme celui parlé en France, en Belgique, en Suisse,...), forgé selon lui pour se frotter à un environnement différent, à un territoire démesuré. Une langue qui a son swing propre. 

C'est ça, ai-je pensé, ma grand-maman a un flow et une dégaine qui font mouche dans son décor.

Souvent je pars courir le long de l'Arnon, par le bas des vignes, je gravis, après une quinzaine de minutes, la petite pente qui mène à Fiez, avant le Moulin de Péroset. Retournant alors sur Champagne, je contemple, à la sortie du village, le saule pleureur, à côté de chez les Rolando. Un arbre qui me rappelle mon grand-père, l'unique partie de Pictionary jouée avec lui. Il m'en avait dessiné un; je ne savais pas ce que c'était. "Mais oui, il y en a un sur la gauche, quand on arrive à Fiez."

Depuis, quand je vois ces branches fines qui tombent vers le sol, c'est le Georgy qui me vient à l'esprit.

Tendre les mains, le cœur et les oreilles pour récolter le mot juste.

Le 6 janvier, cela a fait deux ans que notre maman a tiré le rideau sur la scène de son existence devenue trop exiguë, trop encombrée. Attendant que ma grande sœur termine son travail pour aller manger avec elle, je me suis rendu sur la jetée jouxtant l'embouchure de la Thièle, à Yverdon. C'était une de ces journées d'hiver où les crépuscules s'embrassent du bout des lèvres, la lumière basse dessinant un matin qui s'étire, s'étire, s'étire jusqu'à se faire nuit à nouveau. J'ai avancé en espérant, comme à chaque fois, que les oiseaux ne s'envoleraient pas, me considérant comme un des leurs. 

S'en allant dans des battements d'ailes qui ressemblaient à autant de haussement d'épaules et de sourcils, ils m'ont fait l'offrande d'une peinture guanesque de première fraîcheur.

Je me laissais porter par l'intensité du moment avec A Filetta dans les oreilles. Grandson, en face, ses contours encadrant le château, "mon" collège que je devinais, les heures à y jouer au basket, le terrain de foot que je connaissais du bout des crampons, tout ceci bousculait bien des souvenirs dans ma poitrine.

Et des réminiscences de ma maman, forcément.

Il y a ces lignes, à la fin du M. D. de Yann Andréa:

"Sans le pouvoir, sans le vouloir, vous êtes allée jusqu'au bout du possible. Vous êtes dépourvue d'attention pour votre personne, emportée loin de vous par vous-même, vous allez là où vous ne connaissez pas, là où l'interdit règne, là où tout commence.

Où vous êtes perdue, vous restez. Vous restez et vous revenez vers le rectangle de la page.

Toujours ce tremblement à peine visible de la vie, la blessure irréparable, le dommage fait à votre corps transi, cette splendeur revenue du plus loin, ce ratage merveilleux, vous."

Avec ces voix corses amies, j'ai chanté.

-"Pourquoi est-ce qu'on n'entend plus les ouvriers chanter, sur les chantiers?!?" me demanderait Roger Favre, un écrivain neuchâtelois oublié, qui déplie son "vœu de frugalité" à la Tchaux, deux jours plus tard. "C'est pourtant tellement puissant ce qui nous porte quand on chante. On se sent comme réconcilié.", enchaînerait-il.

Ne serait-ce pas dans ce genre de moments qu'on effleure quelque chose ayant à voir avec l'infini, comme l'écrivait Spinoza?!?-

J'ai chanté, sans doute pas la plus mauvaise manière de parler avec ma maman, puis suis allé retrouver Leila. Nous sommes allés manger dans un restaurant qui nous était un refrain, enfants. J'espère qu'on a mieux vieilli que lui.

Le lendemain, en arrivant chez Jean-Luc, la télévision était allumée sur l'horreur. Les mots ont tout de suite commencé à s'étrangler dans ma gorge. Beaucoup d'inepties entendues et lues depuis, sachant que cela n'était pas près de s'arrêter. Au contraire. Le langage, ce socle, cette colonne vertébrale déjà malmenée en temps normal, se retrouve encore plus face à ses limites immenses quand une certaine actualité touche le fond, et nous avec, pas forcément pour les mêmes déraisons.

Comme si la solidarité et la fraternité pouvaient s'improviser dans l'urgence d'une condamnation; comme si une formulation toute faite, brocardée partout comme une sorte de marketing de la liberté, pouvait effacer la consternation.

La tête embrouillardée, je suis allé chercher de la lumière dans les livres, forcément:

"Le chant nous conduit dans un chez-soi où nous n'avons encore jamais été."

C'est dans "Errata, récit d'une pensée", de George Steiner, fils d'un juriste juif officiant dans une banque autrichienne, pendant l'entre-deux guerre. On imagine le climat, qui les obligera à anticiper les tragédies à venir, les déposant à Paris, puis en Angleterre. Ce père, homme cultivé d'une immense exigence, a du coup élevé ses enfants entre l'allemand, le français, l'anglais, un peu de grec et de latin, ainsi que la vénération des classiques, dont il importait d'apprendre de nombreux passages par cœur, parce que "mémoriser, c'est apporter une première réponse", . 

Alors des ponts s'inventent, s'efforcent d'exister. Le seul vrai refus que l'on peut opposer à la bêtise, à l’extrémisme, au fondamentalisme, c'est de poser et de se poser des questions, toujours; de refuser les "une fois pour toutes" et les poings sur la table. C'est rayonner, au quotidien, quelque chose qui permet de ne pas arborer quelque slogan que ce soit, parce que chacun de nos gestes et chacune de nos paroles ressemblent  à une main tendue, à un sourire offert. C'est ne rien céder à la peur, ce dévoreur d'humanité.

Qu'il y ait en permanence, en nous, une bouilloire qui siffle, annonçant une venue inattendue, un ami ou un inconnu ajoutant une brindille à la corbeille de fraternité que nous n'avons de cesse de tisser.

On trouve, dans le même ouvrage du précieux Steiner, à l'entame du sixième chapitre, cette affirmation qui pourrait m'être un blason:



"Il est des phrases qui arrêtent l'esprit. Elles dessinent les espaces que nous traversons, retraversons, cherchons à exploiter et habiter. [...]. Des phrases qui jalonnent un terrain pour une vie d'exploration et de questionnement."

lundi, janvier 05, 2015

je vous prends dans mes mots




« Traduire n'est pas une simple opération linguistique. C'est d'abord une forme d'engagement, une confrontation sur un sol nouveau avec une patrie qui ne sera jamais tout à fait la nôtre. Mais en nous déportant dans l'autre langue d'une œuvre nous apprenons alors que nous n'étions d'aucun sol particulier, d'aucune patrie. Traduire, et retraduire, est une nécessité pour nous sauver, collectivement et individuellement, de l'oubli dans lequel nous sommes. Nous sommes oubliés des œuvres et de leurs langues. Les retraduire c'est réveiller leur mémoire de langage. Leur dire nous sommes là nous aussi, et faire en sorte que nous puissions nous entendre. Leur faire dire : faites-vous entendre en nous, réveillez-nous, je vous prends dans mes mots, dans ma langue imparfaite et inachevée ».  
  
Frédéric Boyer, préface de William Shakespeare, Sonnets, P.O.L, 2010, p. 11.  

jeudi, janvier 01, 2015

Je vous raconte des histoires. Croyez-moi.



Lisant "The Passion", de Jeanette Winterson, un refrain qui s'y trouve ("I am telling you stories. Trust me."), me fait penser, en vrac, à Gary, forcément, à "Big Fish", à "Darjeeling Express" ("All my charachters are fictional" récité comme un lamento par celui qui écrit, à qui ses frangins disent régulièrement combien ils ont apprécié la manière dont il a dépeint tel ou tel autre personnage de leur famille), à Noël qui vient de s'en aller, la hotte vide, la panse trop pleine,...

Je déguste aussi, pour digérer, quelques "menus propos" de Pierre Girard, encore un fabuleux écrivain trop peu connu, qui me renvoie, dans ma constellation personnelle, à Pierre-Laurent Ellenberger et à Pierre Foglia.

J'ai traduit un joli petit texte d'une pochette d'Eric Clapton, pour Vale d'Amour, qui veut l'offrir à son père. Il y dit ceci, en hommage à Robert Johnson, autour de qui l'album est construit:

"C'est une chose remarquable d'avoir été conduit et influencé toute ma vie par le travail d'un homme. Et même si j'accepte que cela a toujours été la clef de voûte de ma base musicale, je ne le regarderais toujours pas comme une obsession, mais plutôt je préfère y penser comme à un repère qui m'a guidé quand je naviguais, même quand je partais à la dérive."

Envie, pour ce premier jour de l'année, de vous traduire également un fragment d'une chronique de Manuel António Pina, que je sirote avec joie:

"Avec le printemps et le bourgeonnement des feuille fleurit glorieusement dans la ville l'espèce confuse des conducteurs du dimanche.
[...]
Ils s'exaspèrent ceux qui affrontent (jugent-ils) le destin et sont pressés d'y arriver. Mais il n'y a pas de colère dans le monde capable de perturber l'inutilité des dimanches de Porto. Moi, sa lenteur me rend éternel. Sa patience impassible, si elle prenait place un jour de semaine, serait dangereusement subversive, son indifférence complètement immorale. Qu'ils réussissent, pour le moins les dimanches, à étaler ainsi absolument leur, et notre, droit à l'improductivité, voilà ce qui constitue peut-être le miracle capable d'amener un cynique à se réconcilier avec le genre humain, dans la singulière version du genre humain que sont les conducteurs de Porto.
[...].
Nous restons ici simplement en restant ici, avec les yeux regardant, en silence, ou parlant pour parler, parce que ce n'est pas un jour pour se dire quoique ce soit, peut-être fumant, pendant que les enfants, sur la banquette arrière, pour profiter du temps (complètement irrécupérables, les enfants, incapables qu'ils sont de ne faire absolument rien), dorment. Et, après, à six ou sept heures, quand l'après-midi lentement s'éteindra, nous rentreront de nouveau à la maison, à lundi et aux chroniques avec sujet."